La livraison automnale de la revue Po&sie propose un fort volume sobrement titré 1975-2004, 30 ans de poésie italienne. Dirigé par le traducteur et universitaire Martin Rueff, ce numéro est le premier volet d’une archéologie de la modernité poétique italienne, le second étant attendu pour le trimestre prochain. Le principe de composition est simple : les deux dates (1975-2004) indiquent les possibilités de parution des textes eux-mêmes. Ainsi un auteur mort en 1960, dont l’œuvre, posthume, ne paraîtra qu’en 1978, pourra faire partie de cet ensemble. Tous les textes sont inédits en français plus de 50 poètes se suivent dans ce N°109 selon l’ordre chronologique de leur naissance. Pasolini (né en 1922) est le seul qui échappe à la règle. On découvrira d’ailleurs un très bel entretien inédit avec l’auteur de Pétrole ainsi que Cinq sonnets… à paraître aux Solitaires intempestifs où il s’attaque au rôle de la sexualité comme dada (vision bourgeoise) pour lui substituer une énergie de « connaissance de classe » quasi christique.
L’introduction de M. Rueff fait une remarquable synthèse des mouvements modernes de l’Italie poétique. Si longtemps trois axes générationnels dessinèrent sa partition de Dino Campana, pôle d’une poésie élégiaque et symboliste, aux poètes dit « crépusculaires », jusqu’au Futurisme ; puis, de Saba à Ungaretti jusqu’au prix Nobel Eugenio Montale la troisième génération (que l’on dit du Milieu) est celle qui vient justement briser la bipolarité selon laquelle on opposait poésie d’avant-garde et poésie hermétique. Parmi ses auteurs, on trouve ici le grand Giorgio Caproni, Mario Luzi, Sandro Penna, Attilio Bertolucci (frère du cinéaste), Alfonso Gatto… Au lieu de maintenir des « lignes de fracture » (par exemple : engagement politique vs solitude ; encrages dialectaux vs internationalisme ; choix métrique vs prosaïsmes, etc.), comme ce fut le cas dans le passé, cette génération-là fera se croiser les champs de recherche et de préoccupations Zanzotto en étant le magistral exemple, de même Edouardo Sanguinetti et son inoubliable Postcarten.
Ce volume, véritable voyage entre cultures et architectures, montre aussi comment les rapports géographiques (Milan, Gêne, Florence) s’estompèrent au profit d’interrogations sur l’engagement (l’impregno civile), le corps, la/les langues d’écriture, la pensée dans le poème. En témoignent, notamment, le superbe Placentas de Giuseppe Bonaviri, également romancier, la poésie dialectale (le romagne) tournée vers les faits quotidiens de Raffaello Baldini (très belle découverte), l’érudition joueuse d’Emilio Villa, les petits quatrains de l’ouvrier agricole et autodidacte Tolmino Baldassari, tel celui-ci : « les choses ont leur vie/ il faut faire face/ même si ça ne sert à rien/ les heures s’affairent ». Un superbe et très solide travail.
Po&sie N°109, Belin, 320 pages, 15 €
Poésie Pasta al Dante
janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59
| par
Emmanuel Laugier
Pasta al Dante
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°59
, janvier 2005.