Ils sont trois. Par ordre d’entrée en scène : Bernard-Marie Koltès alias le desperado joyeux, Jean-Michel Basquiat dit l’enfant radiant et Chet Baker ou le prince de la fêlure. Trois morts, trois anges. Les voilà réunis, ces morts d’un même temps (fin des années 80) pour un trio jazzy et coloré où le blues et la colère sont rouges. Ils parlent de l’Afrique et de la couleur de peau d’Andy Warhol, ils bousculent la langue à grands moments de silence, ils observent comment l’œuvre qu’ils ont laissée est devenue aux mains des vivants le marbre pétrifié de leur tombe. Icônes figées par une mort prématurée (« Ce que ta disparition t’a empêché de commettre/ Finit par peser plus lourd que ce que tu as commis de ton vivant »), ils se révoltent sur une scène qui n’est pas la leur, en des mots qu’ils savent n’être pas non plus à eux. Ainsi Koltès, parlant de lui-même à la troisième personne, puisqu’il se retrouve étranger à lui-même : « Pour finir rien de ce qui s’est dit ici n’a été dit ni même pensé par lui/ Mais écrit par un vivant provisoirement exilé de lui-même pour faire parler les morts ». Et c’est donc ce que fait Cormann : habiter et parler les anges, comme pour inverser les rôles et que ce soit chaque humain et tous les humains ensemble qui soient les gardiens des anges. Autant dire des morts et de ce qu’ils nous ont légué.
La Révolte des anges file comme un météore dans l’œuvre d’Enzo Cormann. On est loin de la tension hallucinée de La Plaie et le couteau (sur Gilles de Rais) ou de la dialectique implacable de Toujours l’orage (sur l’héritage de la Shoah au théâtre). Pièce plus légère, en apparence, La Révolte des anges (dont le titre s’inspire d’un dessin d’Antonin Artaud) s’inscrit toutefois dans la lignée de Cairn qui montrait le combat vain d’un syndicaliste délaissé, au final, par ceux qu’il voulait défendre. Il est ici à nouveau question de la manière avec laquelle le réel digère ce qu’un individu a tenté de lui opposer pour rendre plus « vraie » la vie. Et comment, cependant, dans la fixation des œuvres, pour peu qu’on y prenne le temps et que l’on déplace le regard ou l’ouïe, se fait encore jour le mouvement initial, le refus, la révolte.
La Révolte des anges de Enzo Cormann
Éditions de Minuit, 71 pages, 11 €
Dossier
Enzo Cormann
Les anges gardés
janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59
| par
Thierry Guichard
,
Laurence Cazaux
Un auteur
Un livre
Un dossier