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Poésie L’effroi de la passion

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Jean Laurenti

Éperdument amoureux, un jeune homme épris d’absolu se met à douter de la pureté d’âme et de sentiments de sa fiancée. Ivan Bounine livre un récit sur le thème de la jalousie, sobre et éblouissant.

Parmi les fléaux qui accablent l’âme humaine, en est-il un qui, pour le romancier, soit plus passionnant que la jalousie ? Sœur maudite de la passion amoureuse, elle s’invite incidemment dans la fête des sens, qu’elle phagocyte peu à peu. Premières alertes, contre-offensives de la raison, accalmies, rechutes, généralisation du mal, accomplissement de l’irréparable. On ne s’étonnera pas de trouver dans l’œuvre d’auteurs russes, notoirement experts en tourments de l’âme, de fort belles réussites en la matière. Qu’on songe à La Sonate à Kreutzer, publié par Tolstoï en 1889 : un homme, rongé par la certitude que son épouse le trompe avec le musicien avec qui elle interprète en duo la (trop) sublime « Sonate à Kreutzer », finira par l’assassiner. Quelques décennies plus tard, en 1925, un autre écrivain russe, Ivan Bounine, qui fut un ami de Tolstoï, publie un court roman sur le même thème, qu’il traite de façon radicalement différente. L’Amour de Mitia narre l’obsession d’un jeune homme, convaincu que Katia, qu’il aime éperdument et encore chastement, a une liaison coupable avec son professeur d’art dramatique.
Ivan Bounine, né en 1870 en Russie dans une famille de la petite noblesse, a fui le régime bolchevique en 1920. Il a vécu en France jusqu’à sa mort en 1953. On sait peu aujourd’hui que ce romancier fut d’abord poète, qu’il a obtenu le prix Nobel de littérature en 1933, et qu’il est l’auteur d’un nombre conséquent de romans et de nouvelles, tels Le Monsieur de San Francisco, Le Calice de la vie, ou Les Allées sombres, son dernier recueil. Il suffit de lire ce petit chef-d’œuvre qu’est L’Amour de Mitia pour être saisi par l’évidence du talent de Bounine. L’écriture est des plus classiques. Elle appartient davantage à l’art des grands prosateurs du siècle précédent qu’à celle d’une quelconque avant-garde. Pour donner à voir les ravages qu’accomplit la jalousie dans le cœur du jeune Mitia, Bounine mêle le plus souvent récit à la troisième personne et pensées intimes du personnage : « il était fier d’elle, conscient que, malgré tout, elle lui appartenait, cependant qu’une douleur lui brisait le cœur : non, tout était fini, non, elle n’était plus sienne ! » Ou encore lorsqu’au terme d’ « un baiser particulièrement prolongé, elle eut soudain un mouvement de la langue (…) Comment, où avait-elle appris à embrasser ainsi ? »
Comme Tolstoï dans La Sonate…, comme Flaubert ou Maupassant, Bounine incrimine sur le mode ironique les romans qui accompagnent l’éveil des jeunes êtres à la sensualité. Il y ajoute l’incapacité des aînés à transmettre un enseignement salutaire aux novices : « Dans les livres comme dans la vie, tous semblaient s’être donné le mot pour ne parler que d’un amour désincarné ou bien de ce que l’on nomme passion, sensualité. »
Tout au long du récit on retrouve cette ironie, saillant sous l’apparente compassion aux tourments de l’étudiant. Ainsi, lorsque Katia, la fiancée, disserte avec sa mère à grands coups de lieux communs (Mitia est présent, mais est exclu de la discussion) : « De mon point de vue, si l’on n’est pas jaloux, c’est que l’on n’aime pas. Non, maman, avait répliqué Katia, avec cette tendance à toujours répéter les paroles d’autrui : « la jalousie est un manque de respect pour l’être aimé (…), avait-elle conclu, évitant soigneusement de regarder Mitia. »
À bout de forces, Mitia décide de s’éloigner quelque temps de Moscou et de Katia. Trouvera-t-il le repos dans la vaste propriété de sa mère ? Las, il va vivre à la campagne un atroce printemps, sera soumis à la torture d’une nature irradiante de sensualité. Dans le jardin, le bruit de « l’amoureuse abomination » des animaux en rut fait surgir l’image de Katia : « Qui sait si elle ne s’adonne pas, cette nuit, à quelque amour bestial ? » La « monstruosité » qu’elle commet « en se donnant à un autre en même temps que cet amour qui ne devait appartenir qu’à lui, Mitia » rend insupportable cette nature qui le nargue : « tout semblait inutile, pénible, et d’autant plus inutile et pénible que tout était plus beau. » Bounine se fait le peintre cruel de « l’odorante et édénique chaleur du printemps », de « la caresse féminine des arbres ». Joyeux, le soleil, le carillon de l’église, le chant des rossignols, les rires provocateurs des jeunes filles, et même les papiers peints de sa chambre. Oui, mais depuis des semaines, aucune nouvelle de Katia. Alors dans la chaleur étouffante de cette fin de printemps, Mitia fait un serment qui rappelle les élans du Fabrice de Stendhal : « Si dans huit jours je n’ai pas de lettre, je me brûle la cervelle ! »
Une seule fois, il cherchera l’apaisement des sens dans une étreinte furtive avec une paysanne, mais elle n’aura fait qu’attiser son angoisse : « la force terrible du désir ne se transformait pas en désir de l’âme, en félicité ». Mitia sait désormais que cette alchimie, comme à la plupart des êtres, lui est inaccessible.

L’Amour de Mitia
Ivan Bounine
Traduit du russe
par Anne Coldefy-Faucard
Gallimard » L’Imaginaire "
149 pages, 6,50

L’effroi de la passion Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
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