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Zoom Mémorialiste au goût bulgare

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Philippe Savary

Cinéaste confirmé, Angel Wagenstein, 82 ans, est un jeune écrivain. Il retrace le destin des juifs le rire aux lèvres, la douleur au cœur.

Adieu Shanghai relate un épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale : comment cette ville, sous contrôle japonais, accueillit et ce fut la seule au monde plus de 20 000 juifs allemands et autrichiens, « candidats au salut », des intellectuels pour la plupart. Tout commence le 10 novembre 1938, funeste Nuit de cristal, sous les lustres du Philharmonique de Dresde un à un les membres juifs de l’orchestre sont arrêtés discrètement en coulisses. Tout se termine fin 1945 par l’affrètement de six long-courriers, retour en Europe. Entre-temps, le roman suit les tribulations d’une poignée d’exilés, parqués dans un faubourg crasseux de Shanghai sur fond d’intrigues, d’enfer et de survie.
Ce livre, le plus sombre, forme le dernier volet d’une trilogie qu’Angel Wagenstein a composée sur le destin des juifs d’Europe au siècle dernier. On lui devait déjà l’histoire, tragi-comique, du petit tailleur Blumenfeld, qui connaîtra, pour le meilleur et surtout pour le pire, cinq patries sans quitter son village de Galicie (Le Pentateuque ou les cinq livres d’Isaac). Plus récemment, Abraham le Poivrot, à la fois savoureux et d’une déchirante nostalgie, ressuscitait le monde enfoui de son enfance. « On ne sait jamais comment naît une idée, ni comment naît un amour », explique le romancier. « Je n’avais pas le projet de faire une trilogie. Je suis juif, antisioniste, antifasciste. Mon intention est de faire seulement un portrait de la tragédie humaine qui peut apporter le racisme, l’antisémitisme, la guerre, etc. Ce que je raconte peut arriver à d’autres tribus, comme au Kosovo, en Afrique ou en Irak ».
« Mais quoi de plus invraisemblable que l’Histoire ? », lit-on dans Adieu Shanghai, fil rouge (et sanglant) de toute l’œuvre écrite par notre hôte. Une question indémodable. « L’actuel Premier ministre de notre république n’est-il pas l’ex-tsar Siméon II, monté sur le trône à l’âge de 6 ans ? », remarque-t-il plein de malice…
Angel Wagenstein est né en 1922 à Plovdiv. Contrainte de fuir la Bulgarie, sa famille s’installe près de Paris à Lagny-sur-Marne, de 1928 à 1934. « Ici en France, j’étais un boche. À mon retour, à Sofia, j’étais un juif. » L’unique endroit où il ne se sentira pas étranger, c’est au sein d’une organisation de la jeunesse antifasciste.Il a 16 ans. Lorsque la guerre civile éclate en Bulgarie avec l’arrivée des alliés nazis, il se lance dans la lutte : il dirige un groupe spécialisé en sabotages dont le plus beau fait d’armes sera d’avoir incendié un entrepôt stockant 72 000 manteaux de fourrure destinés à réchauffer les troupes du IIIe Reich sur le front russe. En 1942, « comme tous les juifs âgés de 18 à 60 ans », il est envoyé dans un camp de travail seule concession que le gouvernement accordera à son hôte allemand, et qui contribuera à ce « miracle » : les 46 000 juifs de Bulgarie, « seuls de toute l’Europe occupée », n’arriveront jamais jusqu’aux chambres à gaz.
Un camp duquel il s’évadera pour rejoindre les Partisans. Dénoncé, il sera arrêté puis torturé par la Gestapo bulgare avant que les bombardements alliés sur Sofia ne détruisent la prison dans laquelle il est incarcéré. Léger répit. Cinq mois plus tard, il est condamné à mort pour « lutte contre l’État ». À cette époque, la justice militaire ne s’embarrassait pas de subtilités. « Il n’existait que trois peines encourues : quinze ans, la perpétuité ou la peine capitale ». Angel Wagenstein devra son salut à l’arrivée de l’Armée rouge. Au gré des renversements d’alliances, il s’engagera ensuite aux côtés des Soviétiques en ex-Yougoslavie où il animera des « théâtres de fronts » à base de chansons et de folklore. Et restera fidèle à ses idéaux face au « régime totalitaire » de Todor Jivkov en défendant un socialisme à visage humain, respectueux des droits et libertés Mitterrand lui remettra une médaille au cours du « petit déjeuner des dissidents » en 1989 à l’ambassade de Sofia.
Avec une vie si mouvementée, pourquoi ne pas faire un livre autobiographique ? Parce que c’est trop ennuyeux, je connais déjà la fin, répond l’intéressé, devenu romancier à 76 ans « à cause de la faillite du cinéma bulgare ». Scénariste et metteur en scène il apprit le métier à Moscou avec Eisenstein Wagenstein a écrit une cinquantaine de films, beaucoup travaillé avec les grands studios est-allemands, décroché une palme à Cannes avec Étoiles en 1959. Ce qui donne à ses romans un côté très visuel, découpés en plans-séquences, particulièrement dans Adieu Shanghai, projet cinématographique avorté. « La prose, je la vois à l’écran. L’histoire doit toujours inspirer les yeux de l’âme », dit-il.
Reconnu en Allemagne et en Bulgarie, notre auteur est pourtant peu lu dans son pays. « Nous traversons une grande crise spirituelle depuis la révolution. Ceux qui aiment les livres n’ont pas d’argent pour les acheter. 3 à 5 % de la population est très riche, 10 % se sent riche, les autres sont dans une situation misérable ». Et de dénoncer le scandale des privatisations, la destruction des coopératives, la corruption rampante. L’Union européenne accueillera la Bulgarie en 2007. D’ici là, le « petit juif » de Sofia continuera d’assouvir ses passions : le cognac, les femmes et la cuisine chinoise. Avec toujours le même message à transmettre : « Le sang de chaque homme est rouge ».

Adieu Shanghai
Angel Wagenstein
Traduit du bulgare
par Krasimir Kavaldjiev
et Veronika Nentcheva
L’Esprit
des péninsules
476 pages, 24

Mémorialiste au goût bulgare Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
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