La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Voyageur et guetteur

février 2005 | Le Matricule des Anges n°60 | par Thierry Cecille

Un monde nous est encore offert : notre monde Grozdanovitch le parcourt avec son alacrité perspicace.

Rêveurs et nageurs

Lire de nouveau Grozdanovitch, après ces deux ans de silence qui nous séparent du roboratif Petit traité de désinvolture, c’est comme retrouver, avec joie et affection, un ami éloigné, en un rendez-vous improvisé. Cette fois-ci, la voix est peut-être plus chaude, le ton plus modéré, moins moraliste, l’écriture est moins aphoristique, Grozdanovitch prend le temps, son temps, raconte, se raconte, rencontre, découvre. Bien entendu le lecteur passionné qu’il est demeure présent, mais effectivement « rêveurs et nageurs » sont sur le devant de la scène : les épigraphes révélatrices, les longues citations témoignent de la fidélité à ses auteurs (Powys, Whitman, Splengler, etc.), mais le monde, la réalité encore palpable et visible, est ici l’objet de toute son attention. Peut-être, comme il le détecte chez Cioran, ne veut-il plus céder à « une certaine jouissance maligne » que l’on peut éprouver à « vouloir désespérer son prochain » ? Toujours est-il qu’il préfère se consacrer ici à « l’étincellement sporadique des êtres et des existences ».
Six chapitres de moindre importance encadrent en une structure en miroir légèrement irrégulière les deux chapitres centraux, deux essais qui, eux aussi, ne sont pas sans se répondre, mystérieusement, en un système d’échos discrets. À l’« Apologie des fantômes » qui tente d’évaluer, en procédant avec délicatesse car ce sont des êtres à ménager, la place des morts dans nos existences, succède un « Bref périple aux Indes Occidentales », en fait un voyage aux États-Unis, sur l’invitation d’amis dévoués mais il n’est pas certain que ce soit là que se manifeste plus clairement à nos yeux, à travers l’opacité d’une modernité frénétique, « la magie splendide de la surface des choses » (Powys). Dans toutes ces pages domine la volonté du « fureteur » insatiable : ne rien laisser passer de ce qui est détectable, de ce qui peut nous faire signe, nous enrichir de sa présence. Ainsi n’hésite-il pas à nous donner à lire une lettre retrouvée de son père mort, lui aussi presque idolâtre envers la « magnificence » modeste des « délicatesses naturelles » et des « refuges secrets » du bonheur. Ce sont de semblables refuges que recherche Grozdanovitch : ce peut être cette caverne mystérieuse couverte de fresques pariétales où Petit-Louis, paysan bourguignon, après y avoir ajouté ses propres peintures naïves, s’en ira mourir, « momie semblable à celles qu’on voit dans les catacombes de Palerme », ce peut être la nuit complice pour les amants endormis après l’amour, « dans le provisoire si bref du temps infini ».
On peut s’émerveiller de la « solennité légère » d’un enterrement au cœur d’une matinée ensoleillée, ou aussi bien d’un enfant sur le chemin, qu’ébouriffe le vent, sur un tableau de Soutine, dans une salle déserte d’un musée new-yorkais. C’est qu’en effet Grozdanovitch pratique ici, avec talent, un genre quelque peu tombé en désuétude, bien que Diderot, Baudelaire ou Agamben lui aient donné ses lettres de noblesse : la description d’œuvres d’art. Qu’il s’agisse d’une Vanité flamande, d’un rouleau de peinture tch’an ou de paysannes de Pissarro le plaisir esthétique ne se distingue pas, ici, du plaisir, simple, d’exister et de témoigner de l’existence. De même sa vigilance face aux dérives de la société américaine ne l’empêche pas d’apprécier les rencontres burlesques, amoureuses ou surprenantes, qui se succèdent et le lecteur n’oubliera pas ces personnages : le vieil afro-américain, retraité des postes, rat de bibliothèque, l’invitant dans son modeste appartement du Bronx pour partager avec lui sa passion pour Thoreau et Emerson, ou cet adolescent surdoué de 12 ans, l’interrogeant sur Wittgenstein et méditant sur « l’invention magique du zéro » ou encore Sue, prostituée épisodique et femme totalement libre, échappée d’un roman de Miller ou d’Auster, magnifique emblème du désir : s’offrant puis disparaissant, grâce insaisissable de la vie.

RÊveurs et nageurs
Denis Grozdanovitch
José Corti
300 pages 16,50

Voyageur et guetteur Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°60 , février 2005.