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Domaine étranger Désunion sublime

février 2005 | Le Matricule des Anges n°60 | par Sophie Deltin

Subtil peintre de l’âme, Stifter illustre à travers le destin de deux sœurs l’inévitable séparation entre la valeur intime et le bonheur d’une existence accomplie.

Vienne. Théâtre du Josefstadt. Le narrateur assiste à un concert donné par deux jeunes violonistes, les sœurs Milanollo. Si le ravissement du public est unanime, c’est moins pour la performance technique de l’une qui « connaît bien » sa partition, que pour le jeu de l’autre qui, outre sa virtuosité, « comprend, éprouve et crée » ce qu’elle joue. Or, dans l’auditoire, il en est un que cette qualité d’interprétation bouleverse jusqu’aux larmes. C’est son voisin et ami qui, pour ultime justification, s’exclame : « Ah, malheureux père ! Malheureux père, hélas ! » Des paroles sibyllines que le narrateur tentera d’élucider. En tout cas, c’est pour retrouver cet être énigmatique mais attachant qu’il se lance dans un voyage en Italie. Il finit par le retrouver lui et sa famille, reclus dans une demeure isolée. Aussi, quand un soir il est réveillé par une musique aux « accents d’une beauté presque douloureuse », il croit reconnaître le talent de l’une des sœurs Milanollo. À tort. Il s’agit en fait de l’une des deux filles de son hôte, qui s’avère être également violoniste.
Adalbert Stifter ne brouille donc les pistes que pour retenir l’essentiel. Car ce qui compte dans l’analogie avec les deux sœurs du concert, c’est précisément le motif de la dualité et de leur impossible assomption dans l’unité. Tandis que l’aînée, Camilla, incarne la sensibilité, l’exaltation de l’âme « céleste » de l’artiste, Maria, elle, représente l’activité terrestre, le sens pratique des responsabilités et le dévouement jusque dans l’abnégation la plus noble. L’allusion à un frère, mort d’une longue maladie, vient renforcer l’écho au duo sororal biblique de Marthe (l’active) et Marie (la contemplative) dont le frère Lazare sera, lui, ressuscité.
Le narrateur, partagé lui-même entre l’idéal d’une vie simple, axée sur le soin de la terre, et celui de l’art, projette alors sur elles l’image de ces deux vocations qui permettraient à « l’homme d’accéder à son plein épanouissement » et qui pourtant n’existent « que séparément et non pas ensemble ». Misère humaine du chiasme entre des qualités et des aspirations contraires…
La force singulière du récit tient sans doute à sa puissance d’évocation, de mise en présence. Le miracle de l’écriture, à la fois affûtée et dépouillée, est de rendre sous nos yeux l’opération même du charme, de l’influx poétique grâce auquel la beauté, loin de rester exposée et passive, rentre dans un rapport transitif avec le regard. Ainsi l’épaisseur du brouillard devient cette matière « qui colle aux fenêtres comme un papier buvard » ; une simple fenêtre, cette trouée « par laquelle entr(e) le regard d’une nuit tiède »… L’écrivain autrichien a l’art de fixer ce presque rien impalpable, inchoatif ou évanouissant, qui enveloppe les choses et les lieux. Le chuchotis de l’eau, le chatoiement des lumières, le ciselé d’une montagne, tout accède à un sentiment de plénitude tel que devant ce « tableau », « je m’inclinais, pour ainsi dire, et le silence qui m’entourait venait (…) mettre toutes choses à leur juste place, tant et si bien que je perdis le sentiment de ma propre existence… » Et si tous les faits et gestes sont rendus dans leurs moindres détails et séquences, c’est pour ne pas oublier que c’est par le truchement du corps qui chemine, se meut dans l’espace que le beau peut faire irruption. Ainsi dans un décor où la mélancolie comme la sérénité semblent exsuder de toute réalité, on ne sait plus quelle grandeur celle des paysages ou celle de l’homme déteint sur l’autre, tant l’élégance de caractère des personnages rivalise avec la « majesté » de la nature.

Les Deux Sœurs
Adalbert Stifter
Traduit de l’allemand
par Claude Maillard
Circé
166 pages, 17

Désunion sublime Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°60 , février 2005.