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Poésie Fleurs carnivores

mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61 | par Richard Blin

La poésie du Colombien William Ospina est autant une éducation au destin qu’un portrait déchirant du XXe siècle.

A qui parle Virginia en marchant vers l’eau ?

William Ospina est un poète colombien, doublé d’un philosophe, né en 1954, et qui a une vision très cosmopolite du monde. À qui parle Virginia en marchant vers l’eau ? est un livre (bilingue) né d’un projet plutôt risqué et ambitieux : écrire, à partir de quelques-uns des personnages qui l’ont marqué ou qui l’ont fait et dans les décors d’époque, un portrait poétique du XXe siècle. Au départ donc, un matériau composé d’images allant de « unes » de Life à des photographies de la conquête de la lune, en passant par celles de scie électrique, de Ferrari, de villes bombardées ou de sourires féminins. Des discours politiques aussi (comme celui de Mussolini, le 5 mai 1936 au Palais de Venise à Rome), des interviews, des chansons populaires et l’ombre d’événements majeurs comme Weimar, les deux guerres mondiales, Hiroshima… Toute une toile de fond d’où émergent quelques figures emblématiques de dictateurs, de penseurs, d’artistes, de savants. Rien de poétique a priori, et pourtant ça marche. Tout en contrastes et en tension, des poèmes naissent, tissant l’infime à l’énorme, la folie des hommes au sublime, et l’inhumanité à l’illuminant. Des poèmes opposant leur musique semblable à celle « qui s’échappe du violon et nous blesse », à celle de l’oubli.
Qu’il s’agisse d’Hiroshima, magnifiquement « rendu » par un haïku (Toutes les feuilles/ De dix longs automnes/ En un seul instant) ou qu’il s’agisse de l’érotisation de la guerre telle que la concevait d’Apollinaire, c’est la théâtralité sauvage, le vampirisme, le visage de Méduse d’un siècle né avec la mort de Nietzsche, et celle de Dieu, qui nous sont révélés. Un recueil où victimes et bourreaux, idylle et épouvante gravitent dans le halo de quelques grands phares, de quelques grands témoins qui ont nom Borges, Kafka, Virginia Woolf, pour qui « se sont fermés les chemins, se sont fermés les jours, les fleurs », et qui a compris « que quelque chose de plus triste que la guerre, de plus/ triste que l’envie ou la haine,/ lentement se refermait dans les cieux muets de (son) âme » ; alors elle marche vers le fleuve en emplissant ses poches de pierres, toutes celles, dit-elle, qui, « noires, dures,/ anciennes, prodigieuses, inexplicables,/ dont le poids calculé par des dieux désormais impossibles/ me retiendra au fond des eaux. »
On croise aussi Picasso et Francis Bacon chez qui « il y a tellement d’encre noire harcelant les hommes,/ tant de sang dans la lune qu’ils ne regardent jamais,/ il y a tant de soirs lilas au-dessus des forêts impossibles/ de l’amour et de l’innocence » qu’on ne sait plus vers où porter ses pas. Enfin, il y a Albert Einstein, qui nous a appris que « la masse énorme des corps célestes/ brouille la trajectoire de la lumière de l’étoile/ et que ce point immobile qui brille dans les hauteurs/ a mainte fois dévié son cours,/ a tracé des lettres de lumière sur la peau des siècles./ Chaque rayon lumineux porte d’anciennes images,/ et l’énergie est la terrible victoire/ de la matière sur le temps. » Einstein dont les découvertes relativisent tout, et permettent à William Ospina de trouver la bonne distance poétique.
Quelque chose de mystérieux habite ces pages, quelque chose qui dépasse la singulière tentative de dire l’Histoire, et d’évoquer, de biais, la terre et la situation colombiennes. Quelque chose qui a autant à voir avec la volonté d’exorcisme qu’avec les arpèges qui semblent accompagner toutes ces présences qu’on ressent très physiquement. Un langage très visuel, jouant subtilement d’effets de loupe ou de miroir comme de tout ce qui permet d’agiter, sur fond d’assomption de beau et de terrible, des précipités d’instants noirs. Une manière de peser le monde aux balances de la culture, à travers une sorte d’éducation au destin, qui se souviendrait de la parole de Nietzsche affirmant, qu’un jour, l’homme comprendrait « que l’art est la médecine suprême ».

À qui parle Virginia en
marchant sur l’eau ?

William Ospina
Traduit de l’espagnol
(Colombie) par Tania Roelens
Cheyne éditeur
110 pages, 18

Fleurs carnivores Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°61 , mars 2005.