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Histoire littéraire L’homme fragmenté

mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61 | par Lucie Clair

Étrange promenade en pays de la delteillerie naissante, ou les dix premières années de plume d’un bretteur qui voulait aussi parler d’aimer.

L' Homme coupé en morceaux

Lire Delteil dépasse l’exercice de l’historien. Car l’homme qu’il nous est donné de rencontrer à travers ces dix années (juin 1923-décembre 1933), de chroniques soixante-huit en tout est avant tout un personnage. Un jeune homme agacé et narquois, dont on se demande, au fil des textes, ce qui relève du masque pour cacher la candeur ébréchée par la vie littéraire parisienne, et ce qui parle de la difficulté à concilier la soif passionnée d’absolu avec un réalisme terrien sans afféterie. La terre est bien la base de Delteil. Si ses années parisiennes semblent l’avoir projeté en apesanteur, il ne se départira jamais d’une tendresse pour les espaces affranchis des égarements humains. C’est également là qu’il excelle à nous nourrir de cet amour des choses, des êtres, des mouvements subtils de la vie à travers de courtes chroniques (il faut lire par exemple ces Fiançailles page 135), libérées de toute pose littéraire voire, quoiqu’il s’en défende avec véhémence, et peut-être même, à cause de cela, de tout moralisme. Car Delteil est une figure étrange, paradoxale, dont le premier des mérites n’est sans doute pas tant sa fonction de témoin de son temps qu’il assuma plutôt médiocrement, ou par intermittence que de nous interroger profondément sur l’acte d’écrire et ce que l’on en fait.
Jeté pour ses vingt ans dans l’absurde des carnages, il reste éloigné des tranchées, mais sera, comme tant d’autres de sa génération, hanté par le « bleu » au cœur des Poilus auxquels il consacre un roman éponyme des années plus tard. Portant cette blessure, et comme s’il fallait aussi une réparation, il intègre pour ses trente ans les arcanes littéraires en un tour de piste parisien. Dans les seules deux années 1923 et 1924, il apporte une contribution véhémente, volontiers gouailleuse et vert-acide à plus de vingt revues parmi lesquelles Paris-Journal, La Révolution surréaliste, la N.R.F, L’Intransigeant… C’est un jeune homme vigoureux et sans doute, selon ses propres aveux, ambitieux, dont la langue pourtant ne cessera de porter et de célébrer l’accent audois et jouer du patois, qui sut séduire (subjuguer ?) par sa fougue, son audace, sa spontanéité.
Encensé en deux ans, deux parutions dithyrambiques le portent aux nues : en 1928, André de Richaud, avec sa Vie de saint Delteil, en 1930, Maryse Choisy avec un essai, Delteil tout nu, mais aussi vilipendé, tant par la gauche que par la droite, Delteil est surtout inclassable. Delteil se contentera trop souvent d’être avant tout « contre, contre, contre ». De fait, il pourfend, bataille, interpelle, loue, s’indigne, et, dressant presque à son insu le portrait des emportés de sa génération, marque les limites de la confusion qui consistait à prendre l’écriture pour un radeau de la colère. L’amitié elle-même est emphatique, lyrique, déterminée, à vouloir marteler la force de la fraternité du cœur, et rendre hommage à tout prix. Il faut lire aussi ses éloges des parutions de Mac Orlan pour saisir ce que cet emportement peut abriter de flux d’amour, parfois maladroit.
Il apparaît alors que L’Homme coupé en morceaux est Delteil lui-même, disséminé aux quatre coins d’une époque endolorie et ulcérée, sur laquelle il refuse de porter un regard pessimiste, mais à laquelle aussi, à l’instar de beaucoup d’autres, il ne saura apporter de baume, tant ses vitupérations parfois peuvent sembler convenues pour cet entre-deux guerres aux débats tranchés. À tout le moins, Joseph Delteil ne transigera pas avec la mascarade nostalgique dont ses contemporains adoptent le pas lorsque le désarroi est trop puissant. Gardien d’une farouche volonté d’aller de l’avant, Delteil pourra peut-être aux yeux de certains sembler naïf, à d’autres, parfois, complice de l’air du temps. Il se démarque pourtant encore aujourd’hui par cette puissante croyance dans la chose littéraire, qui nous enjoint alors à considérer ce qu’elle est de nos jours et à en mesurer toute la vacuité lorsqu’elle s’énonce, malgré elle, comme un substrat de la vie même.

L’Homme coupé
en morceaux

Joseph Delteil
Le Temps qu’il fait
232 pages, 22

L’homme fragmenté Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°61 , mars 2005.