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Intemporels Les malheurs de Pozzi

mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61 | par Didier Garcia

Vingt et un ans de plaintes, de souffrances physiques et de désillusions amoureuses : un journal intime façon cahier de doléances.

Journal 1913-1934

Catherine Pozzi est née en 1882. Immortalisé par Proust dans sa Recherche sous les traits du Docteur Cottard, son père est directeur du service de gynécologie de l’hôpital Broca à Paris (titulaire de la première chaire). Âgée de 25 ans, elle quitte la France et sa famille pour une année d’études à Oxford. En 1909, elle épouse Édouard Bourdet, dramaturge qui va vite connaître le succès. Trois ans plus tard, elle devient tuberculeuse, maladie dont elle ne va jamais se remettre et qui l’emportera en 1934. À la fin de la Grande Guerre, son père est assassiné par un de ses anciens patients. Catherine Pozzi entreprend d’écrire, s’occupe de littérature, s’amourache de Paul Valéry, passe son bachot à 37 ans, s’intéresse à tout, et fréquente les ploutocrates de son temps…
De son vivant, Catherine Pozzi n’a guère donné qu’Agnès, nouvelle autobiographique publiée en 1927 dans La NRF et traduite en allemand. Après sa mort, six poèmes paraîtront, et quelques volumes de correspondance (avec Paulhan et Rilke notamment). Mais aucun doute possible, Catherine Pozzi reste une diariste : les éditions Claire Paulhan ont publié son Journal de jeunesse 1893-1906 en 1997. Et voici donc réédité son Journal, couvrant l’essentiel de sa vie d’adulte, s’ouvrant à l’aube de la Grande Guerre et se refermant quelques jours avant sa mort.
Selon les propres mots de Pozzi, ce Journal est « une œuvre utilitaire, mono-utilitaire ». Le lecteur a d’ailleurs l’impression, durant les premières années, d’entrer de plain-pied dans une maison où personne ne l’a convié, ou de débarquer à l’improviste en pleine scène de ménage. Dans toutes ces pages, il est surtout question d’un mariage qui tourne à l’aigre et des infidélités du mari.
Mais ce « protozoaire en révolte » ne vit pas que sur les ruines de cette union. Elle fréquente aussi le landernau littéraire, rencontre Julien Benda, Colette, Anna de Noailles, plus tard Mauriac, Du Bos, Paulhan, Jouve, Drieu La Rochelle, et des personnages que l’on croirait échappés de quelques pages de Proust : la comtesse de Béhague, la marquise de Brantes, la duchesse de Clermont-Tonnerre, les de Jonquières. C’est d’ailleurs sa liaison adultérine avec l’un des plus grands noms de l’époque, Paul Valéry en personne, qui occupe la place centrale de ce Journal. Ce qui n’était jusqu’alors que « l’agenda de quelques idées » devient « le récit d’une douleur qui m’a été pendant sept ans incompréhensible », ce qu’elle nomme ailleurs « le roman de Karin et Paul », autrement dit l’histoire de sa relation douloureuse avec son « Très haut amour » qui fut aussi son « Enfer ».
On se gardera toutefois de réduire ce Journal à cette seule aventure. On irait jusqu’à dire que sa matière principale est la douleur, dont elle n’hésite pas à récapituler les événements autour desquels elle s’enracine, et trouve bien sûr à se nourrir : « l’horrible mariage, l’horrible divorce, la guerre, et le fiancé frère, qui fut martyr. La maladie, pendant sept années. Mon père assassiné. Enfin, la passion d’un fou. ». Puis décès de sa mère en 1932. Catherine Pozzi aura vécu toute sa vie dans la pensée d’une mort imminente, toujours possible : « Je suis descendue à la cuisine chercher sur le calendrier la date de ma mort. Je crois, depuis toujours, que je mourrai le jour de la Pentecôte. Cette année, c’est le 19 mai. » Sans omettre la conscience de sa laideur. Car quand il s’agit de parler d’elle, Catherine Pozzi ne donne pas dans l’exercice d’admiration : elle se voit en « os de seiche, une robe de soie dessus », ou « maigre et laide et pâle, un grand vermicelle qui aurait de grands yeux ». La bienveillance n’est d’ailleurs pas dans ses manières. Ses caricatures savent être grinçantes : la comtesse Murat est « celle qui crache des noms de grands hommes à chaque respiration ». Mais si elle est capable de saisir un visage en quelques mots, elle peut aussi commettre un consternant « Zut, crotte de bique et diméthyltralala… »
L’intérêt de ce Journal, c’est que Pozzi y réfléchit volontiers sur ce qu’il est, sur un genre qu’elle dit pratiquer « pour ne pas crever de certaines choses ». Relisant les cahiers qui précèdent celui sur lequel elle se confesse (c’est l’été 1928), elle se dit frappée de leur monotonie : « Un homme. Un tourment. Rien à côté. Il semble que l’univers n’existait pas. C’est que, d’abord, mon univers était lui-même. Ensuite, c’est que je n’écrivais qu’en état de douleur. J’écrivais comme l’on se retire dans un oratoire à supplier. » Plus loin, elle reconnaît qu’il s’agit moins d’écriture que de « la chose vivante elle-même qui gémit ». Un Journal pour l’essentiel « sans faits et sans histoire », écrit parce que Pozzi n’avait ni amie ni confesseur, adressé « à la sympathie… de qui ? De rien, de nul, je le sais bien : ce lecteur est moi, cette oreille est la mienne. » Ce n’est pas pour rien si elle l’avait initialement intitulé « De l’ovaire à l’Absolu »… Rares sont les journaux intimes qui se soient intéressés à leur matière, et qui aient envisagé leur rapport au lecteur. C’est sans conteste ce qui fait de celui-ci son indéniable modernité.

Journal
1913-1934

Catherine Pozzi
Phébus, « Libretto »
800 pages, 14,50

Les malheurs de Pozzi Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°61 , mars 2005.
LMDA PDF n°61
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