Hubert Mingarelli, l'appel de la fiction
C’est un fil ténu que la narration de ce onzième roman d’Hubert Mingarelli. Des soldats rebelles sont entrés dans la maison de José Alvaro Cruz pour y voler une paire de bottes. Leur chef en effet, Raphaël Vallejo, avait perdu une de ses semelles. Difficile de marcher ainsi, vers les montagnes, pour échapper à l’armée régulière. Devant la maison de José Alvaro Cruz, Vallejo et ses hommes rencontrent le vieil Eladio. D’abord amical, celui-ci découvre le forfait et demande aux soldats de rendre les bottes. Il n’apprécie pas non plus qu’un « jeunot », Eduardo, se soit moqué de sa chemise et de son pantalon, dont l’usure, on suppose, devrait à elle seule ranger Eladio du côté des insurgés. Comme Eladio se fait têtu, Eduardo l’assomme, le plus gentiment qu’il peut : en deux phrases ces deux-là ont appris qu’ils venaient de la même région. À son réveil, Eladio décide de partir à la poursuite de Vallejo et ses hommes pour récupérer la paire de bottes de son voisin José Alvaro Cruz.
On vient de résumer les vingt premières pages du roman et il ne faudrait pas plus de lignes pour résumer les cent cinquante qui suivent.
Certes Eladio, lorsqu’il part à la poursuite des voleurs, ne se doute pas que le voyage sera si long et si pénible. Les montagnes ne sont même pas à l’horizon de son village. Mais s’il part, le vieil homme, ce n’est peut-être pas pour les raisons qu’il se donne à lui-même. On va le suivre, monologuant, dialoguant silencieusement avec José Alvaro Cruz, donnant à chacun de ses pas l’étendue de sa fierté, de son orgueil. Peut-être parce qu’il n’a plus que ça : de l’orgueil et une petite maison que José Alvaro Cruz a fini par lui céder après des années de travail. La longue marche d’Eladio se fait dans un dépouillement absolu. L’homme n’a qu’une veste neuve dans laquelle il serre les papiers de sa maison. Il va redécouvrir le froid, la soif et la faim, progressant dans sa solitude vers les neiges lointaines.
Peu à peu sa quête va se défaire du mensonge qui l’enrobe : ce n’est pas tant pour son voisin qu’il poursuit les voleurs que parce qu’un lien s’est mystérieusement établi entre lui et le « jeunot ». À moins qu’il y ait dans Eladio quelques choses des vieux éléphants…
C’est peu de dire que le roman s’est dépouillé de toute fioriture. Le dénuement d’Eladio est aussi celui du récit. Une boîte de conserve où se devine la marque d’un lait concentré, une couverture « empruntée » devant la maison d’une femme seule, un peu d’herbe amère : il ne faut pas grand-chose à Hubert Mingarelli pour dessiner l’humilité de son héros, le dépouillement auquel va conduire cette odyssée mineure.
Eladio s’invente un témoin à son épopée intime en la personne de son voisin. Il progresse comme un saint, se défaisant au fur et à mesure de sa soif, des mensonges qui l’habitent. Il franchira la barrière de la honte et se présentera, exsangue et « nettoyé » face à son destin dans une scène finale bordée par le noir de la nuit.
JbrJ...