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Zoom L’art de la fugue

mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63 | par Dominique Aussenac

Dans un premier récit alerte et documenté, Frédéric Chaudière entrouvre les coulisses du monde du violon, où le raffinement et la gloire se disputent au barbare.

Tribulations d’un stradivarius en Amérique

Tout tarde à s’installer en cet après-midi d’avril glacial. Des lambeaux de brume s’effilochent dans les rues étroites de ce cœur de Montpellier dont les hautes demeures restituent la puissance et la richesse des maîtres anciens. L’atelier de Frédéric Chaudière, situé à l’étage d’un superbe hôtel particulier, doit dater du dix-septième, le siècle de Stradivarius, le maître de Crémone. Accrochés aux murs dépouillés, enveloppés d’une lumière jaune diffusée par la pierre, quelques instruments pendent. Dans un coin, un topin (vieille marmite), empli de collophane (colle) ronronne. Frédéric Chaudière parle d’une voix douce, soufflée, parfois atone, ses mains, toujours en mouvement, enserrent une carcasse en bois, dont il rabote les aspérités. Il fait partie de la confrérie des luthiers.
De ces derniers, il affirme : « Ce sont souvent des gens introvertis, cultivés, raffinés, mais qui ont un rapport difficile au monde extérieur. Être luthier, c’est une planque, un métier mystérieux, pas vraiment rationnel. À l’écart du temps, de la science, c’est aussi un être de pouvoir ». Du violon, il parle comme l’instrument de tous les possibles. « Ce peut être une œuvre d’art, mais aussi un réceptacle à fantasmes ou à spéculations. Un fétiche de notre civilisation, de notre culture ». Dernièrement, il a eu à exécuter la copie d’un Stradivarius, le « Troppo Rosso », un violon rouge éclatant, à l’histoire exceptionnelle. Cet instrument volé, martyrisé engendra l’écriture de son premier récit. Le parcours qui l’a mené à fabriquer des instruments, à devenir un luthier reconnu, recherché, puis écrivain s’avère, lui, un tantinet tortueux.
Frédéric Hubert Chaudière naît en 1963 à Dieulefit (Drôme) dans une famille de plasticiens, peintres, sculpteurs. De 5 à 9 ans, confié à la DDASS, il vit en Institut médico pédagogique au milieu de caractériels. C’est dans cette institution qu’il vit aussi ses premières expériences littéraires avec Élisabeth Bing, une des pionnières des ateliers d’écriture en France. Adolescent révolté, il se passionne pour le rock, collectionne les disques, joue dans un groupe, Rutabaga, écumant les Cévennes. « De fil en aiguille, j’ai commencé à fabriquer des guitares pour les copains et puis j’ai trouvé que les violons étaient particulièrement intéressants, mystérieux. Je suis parti faire une école en Angleterre ». En 1986, il s’installe à Montpellier et crée depuis un violon par mois. S’il s’étonne encore d’avoir obtenu en 1989 et 1992, le premier prix du concours de sonorités Maurice Vieux pour ses altos, plus de trois cents de ses instruments disséminés dans le monde entier font aujourd’hui le bonheur de musiciens prestigieux.
L’activité manuelle a chez lui le pouvoir de libérer esprit et mémoire qu’il remplit alors d’histoires… D’histoires de violons, en errance, en majesté, qu’il couche bientôt sur papier. Il fournira ainsi d’abondantes chroniques sur les instruments rares à Radio France, puis pour The Strad, mensuel anglais de référence. Le « Troppo Rosso » commandé à Stradivarius par Philippe V d’Espagne, volé, transformé en cendrier par un jazzman abruti par l’alcool, la drogue et le dépit, dans les années cinquante, le séduit. Il écrira ses Tribulations qui couvrent trois siècles d’histoire, traversent les continents de Crémone patrie des Stradivarius pères et fils jusqu’en Amérique. Il ira même jusqu’à faire revivre le bois du violon, coupé sous la lune noire de janvier 1705. « Les gémissements de l’outil retiré de la plaie succèdent aux sons lourds des frappes, pendant que les vibrations générées par les impacts se propagent dans le sol parsemé des éclats blanchâtres du sapin. » Puis il laissera à Antonio Stradivari, être retors, autoritaire, le soin d’agencer l’instrument. Le violon terminé passera de main en main, tour à tour, flatté, démantibulé, reconstruit, vendu, volé, blessé… À travers les vicissitudes de l’instrument, Chaudière donne aussi à voir une galerie de portraits : luthiers, musiciens, marchands, assureurs, voleurs… avec en toile de fond tous les aspects sociologiques, musicologiques, financiers, voire politiques qui font du violon un monde dans le monde.
Si le style sec, nerveux, ainsi que le respect des faits s’apparentent au journalisme, le récit prend parfois des colorations crépusculaires et fantastiques et se termine en enquête policière sur fond de jazz, de beuveries, de déchéance. L’auteur inocule au texte une dimension morale exigeante. Il y juge les hommes à l’aune d’une idée de perfection, jamais inaccessible (beauté, musicalité d’un Stradivarius…), tout en les confrontant à leurs actes.
Un des intérêts du livre est de désacraliser l’instrument et son institution en démontrant que l’art engendre aussi bien le sublime que la crapulerie. Pas du tout nostalgique, l’écrivain-luthier pense toutefois que notre époque a perdu l’harmonie, le charme des proportions. Dernièrement, un Américain a voulu transformer un Stradivarius volé, trouvé sur une benne à ordures, en bibliothèque pour disques compacts. D’où vient ce besoin de destruction ? Pour Frédéric Chaudière l’instrument engendre cette violence. « Le violon est aussi un instrument de torture qui demande un travail et des sacrifices énormes. Le milieu du violon ne donne qu’une image, magnifique, prestigieuse. Dans les coulisses, la musique est faite de larmes, de sang et de silences. Pour en vivre, il faut aller au supplice. » Un peu comme la littérature, non ?

Dominique Aussenac

Tribulations d’un Stradivarius en Amérique
Frédéric Chaudière
Actes Sud, 292 pages, 20

L’art de la fugue Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°63 , mai 2005.
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