Dix ans après La Puissance des mouches (Seuil, 1995) qui faisait de Blaise Pascal un phare romanesque, Lydie Salvayre s’attaque au contemporain de l’auteur des Pensées : Descartes. Dans La Puissance des mouches, le gardien du musée Pascal se confessait depuis la prison où il se trouvait. Parricide, l’homme avait été profondément ébloui par la pensée et la langue de Blaise Pascal. Si La Méthode Mila sonne comme un réquisitoire à l’encontre de Descartes, c’est que le philosophe de la raison que le narrateur a beaucoup lu, n’a pas su l’arracher à la douleur et à la colère d’avoir à s’occuper d’une mère impotente. Face aux jérémiades incessantes de sa génitrice, aux désagréments qu’il y a à s’occuper d’elle le narrateur essaie d’abord de raison garder. Mais il perd rapidement patience et se livre alors à toute la cruauté du désespoir contre la vieille dame : « On dirait que la seule volonté qui anime ma mère est de me tenir constamment mobilisé à son service. » Jusqu’au jour où il rencontre Mila, une voyante plus extra que lucide, dont il va tomber amoureux, d’autant plus qu’elle saura l’arracher aux lourdeurs matérielles de l’existence en lui parlant des visions qu’elle a de son plus lointain ancêtre. D’autant plus, également, que Perline, la fille de Mila, s’occupera de la vieille mère qui va comme en ressusciter. Notre homme vit dans une petite ville, dont la chronique s’enflamme de l’arrivée prochaine de romanichels, suscitant les vieux réflexes xénophobes d’une bonne partie de la population auxquels avec Mila, il s’opposera.
Pour son treizième livre, Lydie Salvayre aborde donc un sujet douloureux : « la nuit pour les vieillards est terriblement dangereuse (…). La nuit tombe sur eux comme la dalle sur la fosse ». Sa fantaisie et son humour salvateurs donnent cependant à la lecture du livre une joie d’autant plus forte que ce qui est dit de notre monde est d’une fine intelligence. Surtout, la romancière réussit à nouveau le cocktail détonant d’une langue nourrie aux plus grands prosateurs français que rehaussent par contraste des expressions d’une brutale familiarité. C’est proprement jubilatoire. Au final, la romancière fait l’apologie d’un désordre créatif et écrase la vision de l’homme-machine à laquelle notre époque s’est donnée : « Voilà ce que n’a pas compris, dans son extrémisme, ce con de Descartes, poursuivis-je. Ce con n’a pas compris qu’il y avait une pensée profonde, je veux dire une pensée refoulée aux abîmes, de mèche avec les rêves et tout ce qui est obscur ». Dans sa longue lettre qu’il adresse à Descartes, le narrateur pointe les manques de la méthode du philosophe : « Vous invitez à la méthode. À l’ordre mort. Or la pensée ne crée rien, Monsieur, si à la discipline, si à la rigueur, si à l’ordre elle n’allie le désordre, je ne dis pas la débandade, je ne dis pas la panique, ni la tête à l’envers, je dis le désordre, Monsieur, je veux dire le mouvement, je veux dire la vadrouille, ou l’errance hasardeuse. Ou la foudre. »...
Entretiens L’apologue du désordre
septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66
| par
Thierry Guichard
Dans un roman drôle, émouvant et à l’intelligence vive, Lydie Salvayre s’en prend à l’héritage de Descartes : pour défendre les valeurs de la fiction, du rêve, du brouillard. Contre les totalitarismes.
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