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Vu à la télévision Bonne nuit, les petits

janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69 | par Christian Prigent

Re-soir : après la dînette et visite bientôt du Marchand de sable c’est comme d’habitude le stage ruminant en désœuvrement et mélancolie entre après turbin et bonne nuit petit.
Genre bonne nuit petit : voici qu’on annonce une chaîne pour les bébés. C’est scoop, c’est moderne. La télé c’est bien : ça nous fait dormir dans nos youpalas même quand on dort pas. Jamais trop tôt pour laver les cervelles et gaver les cerveaux. Après ils auront la neige dedans à perpétuité et raison sera vouée au somnifère devant l’encadré du monde comme il faut pour que rien déborde du démesuré qui hante nos têtes, les couleurs qui bougent au format au poil identique pour tous et le déversé des baratins aptes à faire du terreau pour les soumissions.
Bien sûr tu pourrais, après digressions de nombreux pipis et croqués de pommes au prétexte de creux dans les vestibules, curage des ongles, du nez, de l’évier et du rond des chiottes, te mettre au boulot qu’on (et même toi, voire : seulement toi) attend de toi-même : écrire et penser. Mais non : penser sèche, écrire coince, bouquins puent poussière pareil comme hier et l’emmerdement déjà vu partout et la chair attriste à force de mollir sur du dépité. Allons voir télé. Car par son écran la lumière sera et le monde par là te pleuvra dessus du jour à foison sans que ça te colle sous les badigoinces du bruit qui fait mal si ça fait penser.
Infos. Homme tronc pour te dire comment va le monde en gros, en vitesse. Effort forcené d’effet de réel. Reportages, témoignages, chiffrages : l’accentué du vrai, l’index all is true, le pacte implicite d’objectivité. Pourquoi cependant sensation en toi d’irréalité, chromo, trompe l’œil ? Rien qui fasse l’effet que le monde te fait : comment il t’inquiète, comment tu en jouis, comment t’y piges rien. Bien sûr la vitesse. Bien sûr le zapping d’un sujet à l’autre. Bien sûr l’écrasé du grave sur le nul. Bien sûr la vétille sur le même plan que la catastrophe. Bien sûr la découpe des faits en vignettes et les raccourcis d’interprétation. Bien sûr le lissage abstrait du parler. Bien sûr l’évidence des distorsions de l’objectivité revendiquée, sous pression des choix idéologiques. Bien sûr l’insolence des petits messieurs qui règnent en talk-show, l’arrogance narcisse, le cynisme lisse des Fogiel, Dumas, Delarue et Cie. Bien sûr les pantins de démagogie politique correcte, les pros du non dupe plus-malin-tu-meurs, genre Guy Carlier. Et ça suffirait pour rien regarder, nonobstant le bon (côté reportages, histoire, cinéma sans parler du foot). Mais c’est plus encore : le présentateur parle à un tout-le-monde invisible à lui, anonyme total. Il ne parle donc au vrai à personne. Et personne n’attend une autre parole que celle qu’il adresse à ce tout-le-monde et dans le langage rasé au plus près du médiatisable. Homme tronc c’est Homme trou. Et moi là devant mon nom est personne : trou pareil, trou à remplir. Ça caricature en spectaculaire le fait de la langue contractualisée : commune à chacun, uniformisée en français primaire, elle fait lien social (essaie en tout cas). Mais c’est pour autant qu’elle nie l’expérience que chacun pour soi fait du monde réel. Étant celle de tous, elle n’est de personne. Art, littérature tentent de résoudre ce beau paradoxe : inventent, dans la langue, d’autres langues plus adéquates aux temps singuliers, portées par des corps, données à des corps. Ces langues sont des styles.
La télé est sans style : coulis impersonnel d’images et de paroles. Forme unique (comme il y a une pensée unique et l’unicité de la forme est la condition du stéréotype de la pensée). Ce pourquoi elle est vide et dérisoire : tout s’inscrit à plat, cadré, arasé par la norme médiane du communicable. Tout s’y prend à la lettre (à la lettre de l’image et de sa légende en bulles de paroles). Donc tout y invite à la parodie : de son sérieux compassé comme de son comique surjoué, de son tragique emphatique comme de son burlesque convenu. Elle nous montre au miroir de nos soumissions, de nos banalités, de nos assignations ahuries. À elle seule elle est tout un dictionnaire des idées reçues, un Quid des truismes. En cela, elle peut fasciner. Comme la bêtise fascine (comme elle fascinait Flaubert). En cela aussi elle impulse l’envie de la styliser en bouffonnerie carnavalisée.
Voilà sans doute pourquoi, après, comme dit le poète, « la séance des rythmes », j’irai encore quasi chaque soir me vider la tête devant le bocal lumineux ad hoc : c’est sa fonction. Et dodo l’enfant gavé de fables, de chromos et de mythes sommaires qu’elle fait de nous.

PS : j’en termine là avec cette chronique, requis par, justement, le travail des « rythmes » sur un livre en cours. Et ayant épuisé sans doute le plaisir de grincer de rire devant la lucarne. Merci à toute l’équipe du Matricule des Anges de m’avoir offert ce petit plaisir. Et merci aux lecteurs qui m’ont dit leur intérêt pour telle ou telle de ces chroniques.

Bonne nuit, les petits Par Christian Prigent
Le Matricule des Anges n°69 , janvier 2006.
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