Aux confins de l’Arménie historique, une très jeune fille devient la figure emblématique des derniers soubresauts de la question des Chrétiens d’Orient. Gulizar est enlevée au printemps 1889 lors d’une razzia par Moussa Bek, chef kurde réputé pour sa cruauté et ses protections auprès du Sultan. Mariée au frère du mercenaire et convertie de force à l’Islam, Gulizar résiste au fil des mois tandis que ses « compatriotes se réunissent en assemblée », et trouvent là l’incident qui permettra de faire entendre la voix des « paysans arméniens illettrés ». Ce sera celle qui l’emportera, provisoirement, lors du procès de Moussa Bek à Constantinople, voix courageuse, émotive et naïve, mais dotée de la volonté d’une nation à naître espoir qu’incarnera son mari arménien Kéram, militant et député, anéanti par les premiers massacres de 1915.
Les Noces noires de Gulizar est le récit vivant et partisan de cet épisode qui agita les chancelleries occidentales, et préfigure le dénouement sanglant de l’antagonisme largement encouragé par l’État ottoman entre les Kurdes et les Arméniens. Exilée en France dès 1925, Arménouhie Kévonian, musicienne et journaliste auprès du journal Haratch, est décédée en 2002. En 1946, elle restituait la narration de la détention de sa mère telle qu’elle l’avait reçue, dans une langue pudique, sensible, exaltée, celle des confidences et de l’oralité. Si cette réédition a conservé une traduction parfois un peu pesante, le récit, accompagné d’un dossier critique et historique fort étayé, reste un document majeur des prémices de la disparition d’un peuple.
Les Noces noires de Gulizar
d’Arménouhie Kévonian
Traduit de l’arménien par Jacques Mouradian
Éditions Parenthèses, 187 pages, 19 €
Domaine étranger L’Arménie au sérail
janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69
| par
Lucie Clair
Un livre
L’Arménie au sérail
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°69
, janvier 2006.