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Avec la langue Kai, Kai !

janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69 | par Gilles Magniont

Un coup de morphing verbal, et deux visages n’en font plus qu’un.

KArsher », « CAIllasser », « RaCAIlle » ! Avis aux étudiants, il y aurait une bonne thèse à entreprendre, rayon psycholinguistique, sur L’affleurement de la syllabe ka-kaï dans la communication gouvernementale. Dans l’espérance d’une si vaste étude, patientons ici avec une petite dissection, sous l’œil bienveillant d’Aristote. Selon ce dernier, lorsque je parle, je n’indique pas seulement mon point de vue sur le monde ; je choisis aussi mes mots de manière à suggérer la manière d’être, la posture qui prédisposeraient favorablement mon interlocuteur. Pour le convaincre, il faut avoir « l’air de », « la mine à »… Si je parle de la foi, autant paraître un homme passionné ; si je développe un théorème mathématique, mieux vaut prendre figure raisonnable : cette image de soi, Aristote la nomme ethos. Bien sûr, si l’on est malin, on fera varier cet ethos selon l’auditoire ou le sujet.
Un aperçu, alors, sur ces variations. « Que pensez-vous de la polémique sur la mémoire de la colonisation et de l’esclavage ? » interroge un journaliste (Le Monde, 25 octobre). « Je ne suis pas tenté par la culpabilisation générale sur notre passé », répond le ministre de l’Intérieur. Il écarte ainsi d’une main polie la question, et réduit l’Histoire à une simple affaire de subjectivité, voire de caprice : lui, il n’est « pas tenté ». Curieuse formule, un peu précieuse en la circonstance, comme s’il ne s’agissait que de décliner une offre parmi d’autres. - Un peu de passé, Nicolas ? - Volontiers, Madame. - Avec un nuage de culpabilité ? Sans façons. Appelons ça « l’ethos Neuilly », tout en jolies manières, raison garder & devoir de mémoire sélectionner. Mais les journées sont longues, on n’y prend pas toujours le thé. Au revoir les beaux immeubles, Nicolas dévale les escaliers. Au dehors, c’est désordre et compagnie ; il est alors temps d’adopter un parler moins contourné. D’agiter, par exemple, le « karsher » ce karsher, c’est un truc d’homme : lourd, disgracieux, concret, il n’y a que les gauchistes et les pédés pour en ignorer l’usage. Se dessine alors un second visage : disons qu’il s’agit de « l’ethos chef de chantier ». Vous savez : le type qui marche très vite en faisant jouer des clés dans ses poches, à peine sorti de la voiture il voit ce qui ne marche pas sur le chantier, attends, t’as vu comme c’est dégueulasse, passe-moi un coup de karsher là-dessus, hop il met le contact il est déjà reparti.
« Depuis le début de l’année, 9 000 voitures de police ont été caillassées » (toujours l’interview du Monde) : comme le karsher, caillasser prétend empoigner le réel et n’est entaché d’aucune abstraction. L’air du bonhomme qui retrousse ses manches, encore : seulement là, chacun semble s’y mettre. Karsher et racaille, on les a stigmatisés, on a dit qu’ils mettaient le feu aux poudres ; mais caillasser, somme toute, passe en douceur, il semblerait que plus personne ne lapide en dehors des talibans résiduels. Les journalistes, notamment, ont l’air de bien l’aimer : tel Mauritanien est expulsé pour avoir caillassé une voiture de police, etc. Il faut dire que ce verbe a déjà une petite histoire pour lui. Il apparaît en Nouvelle-Calédonie en 1984, lorsque les indépendantistes jettent de gros cailloux sur les voitures des Européens. Puis il s’invite à l’Assemblée Nationale en 2000, quand Jospin fait état du mauvais accueil qu’il a rencontré au Proche-Orient. Enfin, il se diffuse depuis la rentrée, au gré des « émeutes » que l’on sait. Conclusion : pour caillasser, il faut être Kanak, Palestinien ou Vaux-en-Velien. Notre petit verbe trimballe avec lui tout un pan de la geste coloniale ; il révèle aujourd’hui que ce sont des colonies internes qui sont passées comme en leur temps l’Algérie ou la Nouvelle-Calédonie sous le règne de l’état d’urgence. Situation délicate, qu’on n’est, c’est certain, pas vraiment « tenté » d’observer de trop près. Qu’à cela ne tienne, les deux ethos peuvent collaborer. Le regard oblique et les mains dans le ciment, il suffit, après tout, de monter un Mur. Voilà qui pourrait se faire : Nicolas a, dit-on, des amis dans le bâtiment.

Kai, Kai ! Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°69 , janvier 2006.
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