Bruce Chatwin aime brouiller les pistes. Collectionneur acharné, il a également été un globe-trotter infatigable, capable de partir sur un coup de tête en envoyant un simple télégramme : « Suis parti en Patagonie ». Expert pour la très sérieuse maison de ventes aux enchères Sotheby’s, reporter épris d’indépendance pour The Sunday times magazine ou History today, il cumule les paradoxes. Ces textes inédits de l’auteur, rassemblés ici dans une version poche, dévoilent la nature profondément nomade de cet Occidental attiré par les immensités du désert et la rencontre avec d’autres peuples.
La Patagonie, l’Australie, l’Afrique sont ses terres de prédilection. Pour lui, l’imaginaire se nourrit des faits pour se sublimer : « J’ai toujours cru le réel plus extraordinaire que le fantastique ». L’un des grands mérites de ce recueil habilement composé, consiste à présenter lettres, critiques littéraires, courtes nouvelles et réflexions par thèmes, pour illustrer cette imbrication entre la vie de l’auteur et ses œuvres, son attachement à ses racines et son incapacité viscérale à rester au même endroit très longtemps. L’univers littéraire de Chatwin est peuplé par Melville, Hemingway, Rimbaud et Stevenson. Son musée des horreurs comporte l’effigie de l’éthologue Konrad Lorenz, qu’il accuse, dans une violente critique, d’avoir propagé des idées racistes, nées pendant la période nazie. L’écrivain voyageur devient alors sociologue et militant : « le mythe de la bête plus heureuse que l’homme » conduit à « tomber dans une anesthésie morale et collective et à s’incliner devant la tyrannie ». L’aventurier discret, qui écrivit Les Jumeaux de Black Hill dans une tour médiévale, n’oublie jamais de rester ouvert au monde. Une saine errance avec laquelle l’écrivain, diminué par la maladie, prendra ses distances : « Plus vous voyagez et plus vous faites collection d’endroits. Je n’en peux plus de cette collection. Je n’irai plus nulle part ». Dernier baroud.
Anatomie de l’errance de Bruce Chatwin
Traduit de l’anglais par J. Chabert et M. Graves
Le Livre de poche, 249 pages, 6,50 €
Poches L’infini voyage
mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71
| par
Franck Mannoni
Un livre
L’infini voyage
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°71
, mars 2006.