Écrivain, enseignante et journaliste pour le cinéma documentaire, Anne Brunswic a publié en 2004, à son retour de Ramallah, un livre remarqué, intitulé Bienvenue en Palestine. Elle est partie pour la Sibérie en 2004 et 2005 et nous livre ici le récit de son périple.
Son écriture sans apprêt, descriptive et à laquelle manque sans doute un peu de relief permet de se représenter aisément ces immenses paysages de Sibérie, glacés, étincelants. Seize courts chapitres se succèdent, dont les titres évoquent la formule traditionnelle de certains récits de voyages, où l’observation de terrain se mêle à des réflexions plus morales : « où l’on s’ajuste aux temps plus aisément qu’aux mœurs », « où l’on reçoit plus de leçons qu’on en donne ». Le terrain religieux notamment se prête à l’exploration. La religion orthodoxe est souvent fervente les appartements sont peuplés d’icônes et on découvre l’étonnante communauté juive du Birobidjan, « région autonome juive » fondée sous le stalinisme. Celle-ci a survécu à diverses persécutions (après avoir été victime des purges staliniennes, les juifs furent accusés d’espionnage et de pro-américanisme durant la Guerre froide) et vit depuis longtemps en harmonie respectueuse avec les voisins chinois, à qui ils ont apporté des éléments de progrès au niveau agricole et industriel. L’Histoire est décidément proche : le goulag, et avec lui toute la démesure du stalinisme, est encore dans tous les esprits, il forme le soubassement d’une mémoire collective, parfois tue. Il faut donc compter pour le moment sur la persévérance de quelques habitants qui exhument des témoignages inconnus, à l’image de cet homme qui a ouvert un minuscule musée dans un immeuble, et conserve dans son petit appartement tous les documents et les archives qu’il a accumulés depuis des années…
Avec une vraie curiosité pour autrui, ce qu’elle appelle sa « bienveillance de principe », l’auteur nous conduit vers différents visages, différents destins. La plupart sont des femmes, professeur d’université, directrice d’orphelinat, étudiante… Irina Dimitreva par exemple, vit avec sa mère dans le deux-pièces modeste d’un immeuble vieillot ; minée par la maladie, elle n’en est pas moins rayonnante et active, journaliste toujours avide d’échanges intellectuels, poétesse ; sa mère, présence discrète et aimante, professeur de biologie à la retraite, a accompagné lorsqu’elle était plus jeune une mission dans l’Arctique. On quitte à regret ce duo émouvant, vivant « comme soudées l’une à l’autre », sans homme. Cette absence masculine revient fréquemment, les femmes en parlent peu, et il n’est pas rare de rencontrer l’une d’elles vivant seule avec un ou plusieurs de ses enfants. Les maris et pères sont partis, discrédités ou morts d’alcoolisme. Est-ce cette absence, ou cette faillite, des hommes, qui donne à beaucoup de femmes sibériennes une dimension un peu romanesque ? Ou bien le jugement d’Anne Brunswic est-il un peu hâtif dans son optimisme, relevant d’une sensibilité féministe qui estomperait les aspérités ou les ambiguïtés de toutes ces personnalités ? Peut-être.
Devant ces individus qui continuent à produire et à inventer, dans un environnement où tout est « suranné, bricolé, usé jusqu’à la corde », on ne peut en tout cas s’empêcher de penser à notre société, de confort et de consommation, et pas particulièrement pour s’en féliciter. Ces chroniques possèdent en effet une des grandes vertus de la littérature de voyage : en nous faisant découvrir d’autres cieux et réfléchir sur d’autres manières de vivre, elles nous incitent aussi à porter un regard critique sur notre propre système de valeurs.
Sibérie
Un voyage au pays des femmes
Anne Brunswic
Actes sud,
« Aventure »
269 pages, 21,80 €
Domaine français Briseuse de glace
mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71
| par
Delphine Descaves
De ces voyages en Sibérie, terre de tragédie et d’espoir, Anne Brunswic nous offre des chroniques à visage humain.
Un livre
Briseuse de glace
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°71
, mars 2006.