D’un format presque carré (21x17 cm), sobres mais élégants, les deux premiers livres de la collection consacrée à l’art chez Virgile, évoquent deux figures liées au surréalisme : Joan Miró et Hans Arp. Entre l’évocation et la biographie, Raymond Queneau et Paul Louis Rossi esquissent une approche sensible de l’art. Une manière subtile de donner à voir.
La préface de Dominique Charnay qui introduit la suite de textes de Raymond Queneau consacrés à Joan Miró replace la rencontre des deux hommes sous l’ère du surréalisme. Faisant revivre le Paris artistique des années 20 et 30, le préfacier convoque André Masson d’abord (qui partagea la même adresse que Miró), dont la « nature forte » autant que l’œuvre, allaient attirer autour de lui Lascaux, Desnos, Artaud et donc André Breton. Queneau, au moment où se jouent ses rencontres décisives, a 18 ans et une curiosité qui ne le lâchera pas. Ce serait en 1936, onze ans après que Miró a été exposé à la Galerie Pierre, que les deux hommes se rencontrent à Majorque ou, plus certainement, en 1939 à Varengeville. Le poète et le peintre partagent une même nature, pessimiste, secrète. Miró se révélant plus silencieux que son ami : « Mon exercice favori, note Queneau : faire parler Miró ».
Les textes présentés ici tentent dès lors de faire « parler » la peinture du Catalan, à moins que ce ne soit l’inverse : la peinture de Miró fait ici parler le père de Zazie dans le métro. Toujours est-il que c’est régal pour nous de lire aujourd’hui le fruit de cette relation intellectuelle. Queneau se montre ici autant léger et fantaisiste que pédagogique et précis. Fantaisiste : « J’aime beaucoup Miró. Mais il est drôlement dur pour ce qui est de la confidence. » Pédagogique : « la peinture de Miró est une écriture qu’il faut savoir déchiffrer, tout comme le chinois, dont on peut découvrir le sens des 50 000 caractères grâce aux 214 clefs essentielles. » Précis : « la vraie signification de la peinture est la mise en liberté d’un monde subjectif communicable par une « sorte » d’écriture colorée disposée sur une surface plane généralement rectangulaire. » Dans trois de ces sept textes, Queneau règle aussi son compte à Breton qui ne voyait au final chez Miró que l’instrument de « l’imagination pure ».
Hans Arp, nous dit Paul Louis Rossi, eut « un atelier rue Tourlaque, comme Joan Miró ». On pourrait alors ajouter que Paul Louis Rossi trouve pour parler de l’artiste alsacien une phrase courte, légère, comme celle de Queneau dans « Miró ou le poète préhistorique ». Mêlant, comme Queneau, souvenirs personnels et biographie factuelle de l’artiste, Paul Louis Rossi évoque Dada, les premières réunions surréalistes, Breton bien sûr, bien que « Hans Arp n’entre pas vraiment dans l’activité et la stratégie du surréalisme. » Pour raconter cet artiste, peintre, dessinateur et surtout sculpteur resté fidèle à Dada, Paul Louis Rossi emprunte une prose flâneuse : de Strasbourg à Meudon, de Weimar à Nantes, de Laval à Amsterdam, il nous convie à de courts pèlerinages savants, lumineux, éclairés conduisant au poète Arp qui « dès l’origine, est un poète de première qualité ». On avance par touches successives dans cette biographie non linéaire. Rossi évoque la métaphysique qu’il voit dans les sculptures de l’artiste, il ressuscite Sophie Taeuber la compagne peintre disparue accidentellement en 1943, et donne à sentir l’absence que cette disparition fait dans leur maison près de Val Fleury. Biographie aérienne, le Hans Arp de Paul Louis Rossi n’est pas sans nostalgie vis-à-vis d’une époque où les artistes pouvaient envisager de changer quelque chose du monde. Elle mêle, harmonieusement, la littérature et l’art. Et nous rend impatients de lire, en septembre prochain, l’Alechinsky d’Yves Peyré, le Manet de Mallarmé et le Manifeste pour Yves Klein d’Alain Jouffroy.
Joan Miró par Raymond Queneau et Hans Arp par Paul Louis Rossi, Éditions Virgile, 59 et 61 pages, 12 € chacun
Poésie Un œil chez les peintres
avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72
| par
Thierry Guichard
Deux livres inaugurent la nouvelle collection « Carnet d’ateliers » aux éditions Virgile. Ou comment des écrivains peuvent nous aider à voir le travail des artistes.
Des livres
Un œil chez les peintres
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°72
, avril 2006.