Depuis plus de vingt ans, Pierre Bergounioux, né à Brive en Corrèze en 1949, bâtit une œuvre singulière et exigeante. De Catherine, son premier récit, publié par Gallimard en 1984, à Back in the sixties paru chez Verdier en 2004, en passant par Ce pas et le suivant, Miette, L’Orphelin ou encore Le Premier Mot, il creuse un même sillon au long duquel chaque livre constitue un jalon. Il s’agit de « dissiper le vaste et profond mystère de l’origine », de tirer à chaque fois un pan supplémentaire du voile qui nous dissimule la vérité des choses auxquelles, pris entre les nécessités de l’Histoire et le hasard des destinées, nous sommes confrontés. Avec ce Carnet de notes, ample journal qui couvre dix années, on accompagne un homme dans ses travaux des jours. Père de famille inquiet, professeur, époux d’une jeune femme rencontrée jadis au pays natal, lecteur à l’appétit insatiable, Pierre Bergounioux naît sous nos yeux à son métier d’écrivain. On retrouve dans ces pages la rude élégance d’une écriture, portée par un désir constant de justesse, qui cherche à atteindre le cœur des choses. Et y parvient.
Rencontre dans une maison nichée sur les hauteurs de Gif-sur-Yvette, un écrin de verdure que Pierre Bergounioux présente en riant comme « le seul coin de la banlieue parisienne qui ressemble à la Corrèze ».
Ce qui frappe, à la lecture de votre Carnet, c’est de voir combien le quotidien s’apparente, à un combat. Vivre, pour vous, c’est lutter ?
Vivre, pour moi, c’est résister. Je n’ai pas un tempérament offensif, ni agressif. Je serais plutôt un ami du repos, de la sérénité cafardeuse. Mais ce qu’on appelle la vie, ce qui s’est présenté à moi sous les espèces de l’existence a, semble-t-il assez tôt exigé que je me défende. Que j’essaie de préserver ce qui me tenait lieu d’être, si chétif qu’il pût être. C’était à chaque instant qu’il fallait disputer aux forces hostiles les assises même de cette existence étroite, normale, ordinaire…
Vous éprouvez en particulier le sentiment que vous ne tirez pas le meilleur du temps qui vous est imparti.
Oui c’est ma hantise. Et je pense avoir l’explication rationnelle à cela. Dans le pays d’où je viens, la vie s’était perpétuée à l’identique depuis des éternités et brutalement, les gens de ma génération se sont trouvés mis en demeure de partir. Et j’ai découvert que je n’avais pas seulement l’âge qui était le mien lorsque je suis parti, c’est-à-dire 17 ans, mais deux siècles, cinq siècles, mille ans… mille ans de retard qu’il allait falloir rattraper à marche forcée. Il m’a semblé que je devais faire tenir dans ma brève saison tout ce temps qui n’avait pas pu être mis à profit par tous ceux qui m’avaient précédé.
Cet épisode fondateur de vos 17 ans, vous y revenez souvent. Comment adolescent en êtes-vous arrivé à rompre la chaîne de la transmission ?
Des forces qui se moquent bien que nous en ayons conscience se sont opposées à cet instant précis à ce que nous...
Entretiens Travaux des jours
À côté de ceux dans lesquels il note la substance de ses lectures, Pierre Bergounioux emplit depuis 1980 des cahiers de la matière même du quotidien : actes, paroles, pensées. Les éditions Verdier en publient une première livraison qui porte sur une décennie.