Fonction Elvis n’est ni une biographie, ni un énième écrit sur la musique. Fonction Elvis est le texte d’un écrivain qui tente d’équilibrer tension romanesque et pointes poétiques. Après trois textes heurtés, aux compositions complexes, Laure Limongi propose ici une forme plus « fluide », « lancinante ». Partant des lumières kitsch qui aveuglent celui qui regarde l’image d’Elvis, elle ne cesse de déplacer son regard pour tracer les contours des ombres portées par le King : de sombres images d’un monde où tout s’instrumentalise autrement. La part Cherokee. Jesse Garon, le frère jumeau mort à la naissance. L’artiste super-héros. La formule « Syncrétisme versus ségrégation = $ ». Rencontre.
Si l’on compare vos textes précédents à Fonction Elvis, et pour reprendre une expression de Je ne sais rien d’un homme quand je sais qu’il s’appelle Jacques, peut-on dire que vous êtes passée de l’étude de constellations à celle d’une étoile ?
Oui, en un sens. Éros Peccadille est un texte assez heurté, déchanté, brassant des matériaux d’enfance, des fragments de contes, de mythes. Je ne sais rien d’un homme… trace le portrait diffracté d’un tueur en série schizophrène, ou plutôt une intuition de son portrait en caméra subjective, avec en guise de fil conducteur, en effet, la constellation la plus connue de toutes, dans l’hémisphère Nord : la drôle de casserole stellaire qu’est la Grande Ourse. La Rumeur des espaces négatifs est une sorte d’anti-manuel esthétique, disséquant la représentation photographique de la figure humaine dans un battement texte/image.
À chaque fois, la question de l’icône est présente, voire centrale. Icône religieuse, fétichisme et image de roman-photo qui surgit au détour d’une page dans Éros Peccadille ; rémanence des clichés de crimes, description de photos et inscription d’une image absente en écho à celle du précédent livre dans Je ne sais rien d’un homme… ; défiguration des portraits, du quidam à la star, dans La Rumeur… En ce sens, on pourrait dire que Fonction Elvis aggrave les choses et la singularise en prenant la question frontalement : qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire du géant Elvis Presley ? Comment l’écrire ?
Vous évoquez sa musique, ses expériences cinématographiques, mais on sent surtout c’est ce statut d’ « icône d’un monde, le nôtre » qui vous intéresse…
Il est vrai que ce n’est pas ma passion pour la musique ou le cinéma d’Elvis qui m’a conduit à m’y intéresser, tout simplement parce que je ne connaissais quasiment rien de ses chansons ou de ses films. Il était juste, à mes yeux, le contour d’une icône kitchissime, surexposée, incarnant le passage d’un monde ancien à un monde nouveau. Elvis symbolise la naissance du rock’n’roll et l’invention d’un nouvel âge entre l’enfance et l’âge adulte : l’adolescence. La reconnaissance de la pulsion et du désir, peu à peu acceptés par la société. Il a traversé des mutations essentielles, la guerre, la création de la bombe...
Entretiens Elvis, derrière le miroir
juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75
| par
Pierre Hild
Pour son quatrième livre, Laure Limongi ausculte les « fonctions » d’une icône planétaire : Elvis Presley. Propos d’un écrivain aux facettes multiples.
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