Quatrième livre de Roch-Gérard Salager, né en 1953, Jour de l’an impose une matière et une manière. Des mots, des phrases qui ne sont pas là pour déchirer le silence mais pour l’accentuer, en faire le terreau d’où monte, fragile, la fleur d’une certaine douleur d’être. Celle de quelques oubliés, de quelques solitaires, de quelques obstinés enlisés dans un temps immobile ou aux prises avec l’impitoyable machinerie du destin. Personnages rencontrés, croisés, frôlés, « figures sans convenance », individus « coupant dans une urgence lente » et ayant, pour la plupart, perdu « cette autre moitié de soi extérieure à tout être, sans doute nécessaire à chacun, mais à la solde du sort, qui se trouve à la fois dans l’amour et nulle part, et que l’on voudrait n’appartenir à nul autre que soi-même ». Artiste de rue, infirme végétarien, baron bohémien, nain difforme réparateur de parapluie, endeuillés divers ou femme que l’amour a rendu folle, ils incarnent tous des cas de momification existentielle, des attitudes face à un réel travaillé par la séparation, la dissociation ou la coupure. Des manières plus ou moins fatales d’être au monde, de négocier avec ce qui toujours manque, d’assumer le malheur d’être né comme les rendez-vous anonymes de la mort.
L’écriture minimale de Roch-Gérard Salager donne présence à cet impalpable, à l’emprise mortifiante de la solitude comme aux visages d’ombre du mutisme. Quelques lignes lui suffisent pour recueillir et comme pour dessiner l’ombre portée d’une vie. Mariant intelligence émotionnelle et effet de vérité, c’est la mélancolie doucereuse des souffrances muettes qu’il donne à percevoir tout autant que la petite musique de vies minuscules dont il cherche à préserver un peu de la petite flamme d’être et de désir qui l’illumina un moment.
Jour de l’an de Roch-Gérard Salager
La Dragonne, 76 pages, 12 €
Domaine français Destins précaires
juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75
| par
Richard Blin
Un livre
Destins précaires
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°75
, juillet 2006.