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Domaine français Le cœur et la cible

juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75 | par Anthony Dufraisse

L’Os du doute, onzième livre de la romancière et essayiste Nicole Caligaris, tourne en ridicule les pratiques et la psychologie du management. Le rire est grinçant et les cadres grimaçants.

Avez-vous jamais frayé avec un commando de cadres en action ? Oui, commando, vous avez bien lu. Il y a quelque chose de martial chez les cadres. D’ailleurs la métaphore militaire qui irrigue la langue du management suffit à le prouver : ici on mobilise des troupes, on conquiert des parts de marché, on touche des cœurs de cible, on mène des opérations, on élabore des stratégies, et par-dessus tout on cherche à prendre du galon. Le cadre est un tacticien qui s’ignore. Costumés, cravatés et rasés de près, les « trois gusses », les « trois marioles » qui composent ce commando de choc doivent à tout prix épater la galerie, pour gravir coûte que coûte les échelons de l’organigramme. C’est là le jeu, dont les règles pour être tacites n’en sont pas moins irrationnellement acceptées par tous. Bourdieu le rappelle, en épigraphe : « La loi non écrite de tout jeu est qu’il faut accepter de jouer le jeu, de se prêter au jeu, d’être pris au jeu ». Un personnage lui fera très vite écho : « Les règles que personne n’a jamais formulées mais que personne jamais n’a songé à transgresser ». Le trio que Nicole Caligaris met en scène joue à fond le jeu du management. Trio qui ne parle pas mais communique dans une langue managériale inimitable, franglais confondant : sachez-le, ici on est drivé, boosté et managé. Sachez qu’ici on cause process, timing, deadline et Bi to Bi. Langue hybride où le sens des mots est bradé dans un mélange d’anglophilie farfelue et de néologisme vagissant. Langue oppressante qui aboie, optimise et cherche l’opérationnel. La dite triplette se doit donc d’être toujours au taquet ; si les cadres veulent se distinguer, il leur faut être en danseuse, toute langue dehors pendant l’effort : « Camelots de haut niveau, as du pipeau, capable de prendre n’importe qui au lasso d’une formule ». Voilà le genre de zigs qui peuplent ces pages. Beaux parleurs et baratineurs, oh oui ils le sont et plutôt deux fois qu’une. Mais ces « executives à fort potentiel » sont aussi fanatiques du paper-board, psychopathes du stabilo, cinglés du post-it, fervents pratiquants de la « réu » et du communiqué interne, adeptes du diagramme et de la courbe, junkies du graphique et du camembert. Toujours accrocs aux chiffres accrocs et à cran, tout le temps. Qu’il est loin le temps du Sea, Sex & Sun ! Voici venue l’ère délétère de la Statistique, du Schéma et du Système. Autre époque, autre sainte trinité.
De bon matin, les cadres dévorent les pages saumon du Figaro, glanent dans La Tribune ou Les Echos les cotations du monde, ils se shootent avec une drôle de cocaïne, celle que parfois on appelle la poudre aux yeux. « Notre force de persuasion fait la différence ». L’autopersuasion surtout. De quelque manière que ce soit, les personnages travaillent à satisfaire leur ego déjà surgonflé. Et gare à celui dont le potentiel montrerait quelque signe de faiblesse. Jamais le doute ne doit effleurer les consciences managériales. Sinon c’est le début de la faim : on se met à ronger son os comme un chien affamé, l’os du doute. Pour les cracks, les boss, les pointures, soyez sûrs que le doute c’est la pomme. La croquent-ils, serait-ce une bouchée, et bye-bye la promotion. « Fonce ou crève. C’est la règle ça. On n’y peut rien ». Cependant, pour conjurer le doute, il existe plusieurs recettes : yoga, bêtabloquants, caféine, clope, la barre vitaminée a aussi son effet. À chacun son truc, le cocktail est vivement recommandé, il ne faut pas craindre les interactions médicamenteuses. Le but de la manœuvre est clair : il faut entretenir l’illusion du mouvement perpétuel. « La priorité, c’est le mouvement permanent » ; « Il faut être le mouvement » ; « Le tempo tendu. Pas une seconde de mou ». Si t’es mou, t’es mort. Et il n’y a plus alors de remèdes assez forts pour se tirer du trou : « Ne remonte pas qui veut ». Bienvenue dans le monde du travail. Nicole Caligaris a bien vu ce qui se joue pour les cadres. Ceux-là vivent les fesses posées à même un baril de poudre. Ils sont perclus de tics, à cause du tic-tac horloger. Car Chronos, bien sûr, trône au sommet de la hiérarchie. Dans cette histoire il est le grand taulier. « Rester dans le tempo : time… time… time… time… », le chronomètre tourne et avec lui, les têtes. Qu’a voulu montrer Caligaris sinon, comme le sociologue américain Richard Sennett1, que le travail ne rime plus à rien, que le dessein productiviste tourne à plein c’est-à-dire à vide ? Le système capitaliste brasse du vent et surtout il saigne les ressources humaines, corvéables à merci, considérées sans aucune espèce d’égards : « La Ressource H est au point, dégraissée, restructurée, compressée, décapée, martelée, laminée, affectée, compactée, requalifiée, triturée, usinée, polie, lissée, brossée, rincée, tordue, serrée, stressée, chauffée, pincée, piquée, broyée, bourrelée, roulée, tendue à bloc ». Les hommes ont fait ce système économique, et aujourd’hui comme jamais le système commence de défaire les hommes. Ils s’effilochent, les bonshommes, d’avoir les nerfs en pelote. Il s’agit de ne pas l’oublier. Caligaris, en tout cas, faisant rire jaune ou tout rouge, ne l’oublie pas.

1 Chez Albin Michel : La Culture du nouveau capitalisme (2006), Le Travail sans qualités (2000)

L’Os du doute
Nicole Caligaris
Verticales,
« minimales »
142 pages, 12,90

Le cœur et la cible Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°75 , juillet 2006.
LMDA papier n°75
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