Celle qui se raconte est « une rescapée du zéro en dictée ». À l’heure du choix, elle avait dit littérature, ils ont répondu gestion-commerce. Et la voilà qui suit la pente toute tracée : celle qu’empruntent les démunis. Fille d’ouvrier de la sidérurgie, « nous immigrés à la peau blanche », l’adolescente rêvait de partager « ce que l’on ne possède pas encore », elle découvre l’envers du décor : la réalité sociale. Loin de sa Lorraine natale. Petits boulots. Humiliations. Silences. Il y a « quelque chose avec mes mains qui ne veut pas », dit-elle. Les mains apprendront - durement. C’est le temps de l’apprentissage du monde du travail et de la toute-puissance des mots : dans une radio libre, dans la com, dans un journal d’entreprise, dans une association de défense des droits du détenu. Revanche : elle est maintenant payée pour écrire. Et s’indigner. D’une prison à l’autre, elle animera des ateliers d’écriture à l’hôpital, services spécialisés, destinés à d’autres emmurés, ces « corps pas vraiment morts ». Écouter la douleur. Faire écrire. Des bribes d’histoires. Comme celle de Jean-Jacques obsédé par les « bittes de bateaux » et « les femmes puantes ». Comme celle de Christiane, résumée en un assourdissant « à trop resté coincé dans l’utérus de sa mère, on finit handicapé. »
Ce récit sensible, épuré, à l’acidité délicate, s’apparente à un journal-témoignage, présenté sous la forme d’un CV. On y lit le parcours d’une femme engagée, militante contre les injustices et les offenses, les faux-semblants et les impostures. C’est aussi un plaidoyer en faveur de ce qu’enseigne l’écriture : partager ensemble l’impartageable, permettre « à la vérité d’avancer masquée », « rapprocher des ombres inquiétantes et tenter d’en faire un monde supportable ». Mais le texte se termine sur le même désenchantement qu’il avait débuté. Épuisée et frustrée par le peu de considération qu’on lui témoigne, la narratrice abandonne les ateliers. Car il faut « cesser de vouloir marcher avec ce qui n’avance pas », c’est-à-dire « réfléchir à ce qu’il en coûte exactement de gagner sa vie ».
Gagner sa vie de Fabienne Swiatly, La Fosse aux ours, 92 pages, 13 €
Domaine français Le prix à payer
septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76
| par
Philippe Savary
Le travail et l’écriture, vus par le regard sensible de Fabienne Swiatly.
Un livre
Le prix à payer
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°76
, septembre 2006.