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Poésie Spirituellement vôtre

septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76 | par Marta Krol

Écrivain de l’errance et de la compassion, Jack Kerouac s’intéressa aux formes poétiques. Et ce « jazz poet », comme il se définissait lui-même, apprit beaucoup de l’enseignement bouddhiste.

Le Livre des Haïku (bilingue)

Mexico city blues

L’auteur du mythique roman Sur la route devenu l’icône de la Beat Generation fut soucieux de construire une œuvre. Avec zèle et application estudiantines dont ses admirateurs aux pattes d’eph’ ne devaient pas le soupçonner, il a travaillé à des questions de la théorie littéraire, réfléchissant notamment sur les genres, ce dont la parution en français d’un recueil de haïkus et d’un volume de « chorus » est une preuve suffisante.
De Mexico City Blues on pourrait dire ironiquement qu’il défend un bouddhisme version américaine, mais finalement, pourquoi pas ? Mieux vaut une adaptation déjantée et heureuse qu’un respect paralysant dans sa stérilité. « L’ancienne vertu de se reposer et de penser des pensées heureuses et confortables », ainsi Kerouac interprète-t-il l’austère sagesse du Bouddha, ne serait plus possible « que par la came ». La religion chrétienne de cet Américain marqué par une mère croyante se tient néanmoins présente dans les entrelacs, ainsi que l’amour, la géographie, l’histoire des Incas ou des événements familiaux, au renfort de noms ou adjectifs généreusement pourvus de majuscule pour en appuyer la présence. Une belle annonce programmatique à valeur universelle met en appétit : « Décris (…)/ la cuisson des hot dogs/ (…) et la graisse qui dégouline dans la fumée/ pour brunir et noircir/ les hot dos salés,/ et le vin,/ et le boulot sur la voie ferrée. »
Le livre serait écrit en 15 jours (en août 1955), à Mexico, en écoutant les logorrhées d’un vieux morphinomane sympathique. Il s’agit d’une sorte de transcription à peine contrainte formellement, dans laquelle se laissent discerner les deux voix : celle du type défoncé et celle du type tendu, l’une qui coule sans trêve et sans but, l’autre qui cherche une forme et qui aspire à la poésie. On ne sait si ce duo justifie le nom de « chorus », mais on comprend la volonté affichée de l’auteur d’épouser le style d’improvisations de jazz. La forme est souple et accueillante, à la métrique sans complexe, où le thème se reconnaît à peine derrière des variations échevelées, et surtout à cela tient la prosodie que pratique Kerouac où domine le jeu sur les formes sonores internes et externes au vers. La poésie qu’elle véhicule cherche les limites de sa liberté, les repousse bien loin, mais sans les dépasser ; le sens étant ici celui du rythme, ces textes vous amènent à les lire à voix haute, et imposent de se laisser porter par des déploiements imprévisibles, au plus près d’une simplicité sans coquetterie. Et autant on s’amuse de ces passages conduits à bride abattue : « Tout le Sculpteur de Héros/ Romain, tous les Picassos/ et Micassos et/ Macayos/ et / Machados / et Kerouacos », autant on s’interroge sur l’objectivité d’Allen Ginsberg qui avait vu dans ce recueil un modèle de la « poésie improvisée écrite ».
Tout comme, par ailleurs, il voyait en Kerouac le meilleur haïkiste de sa couvée. Composés entre 1956 et 1966, les poèmes du Livre des haïku sont le fruit d’un travail de fond entrepris après Sur la route. Bien que n’hésitant pas à s’attaquer à des textes originaux théoriques auxquels il fut initié par l’œuvre de T.D. Suzuki, imprégné des plus grands haïkistes (Bashô, Buson, Issa, et Shiki), s’exerçant enfin à la méditation et à la respiration, Kerouac n’a pas réellement embrassé la spiritualité bouddhiste et, force est de le reconnaître, ce vernis solide mais non intégré est parfois perceptible comme tel dans le haïku américain (ou le « pops ») qu’il a inventé.
Le haïku est une forme poétique du Japon classique qui a connu un succès planétaire. Cependant, il s’agit d’une forme hautement contrainte : trois vers de 17 syllabes en tout (soit le temps moyen d’une respiration), marqués d’une césure, comportant une référence à la saison, écrits au présent et sans jamais recourir à l’abstraction. Ainsi les six sous-ensembles qui composent le livre (sans compter l’édition est soignée les notes, l’inventaire des sources et une bibliographie sélective), frappent-ils par la qualité inégale des textes. Certains parviennent à exprimer la sorte de court-circuit propre au haïku entre l’univers et l’individu, entre l’incommensurable et l’intime, à la faveur d’un accès de perception aiguë : « Une goutte de pluie/ est tombée du toit/ Dans ma bière. » Mais, parmi ces textes qui tiennent souvent de prises de notes préparatoires, trop rares sont les poèmes rappelant que le haïku vaut surtout par ce qu’il ne dit pas, avec précision ; qu’il est le cadre d’un contenu à filer entre soi et soi, et néanmoins prédéterminé : « Deux représentants de commerce/ se croisent/ Sur une route de l’Ouest. »
On s’attendait de la part du haïku par Kerouac à une mise à l’épreuve de sa structure rigide par l’esthétique comme par la problématique contemporaines. Sans qu’on puisse l’accuser de reproduction servile l’auteur s’autorise des saillies humoristiques ou irrévérencieuses on baigne dans le japonisant, épuré univers de chats, oiseaux, lunes et étangs. D’où émergent quelquefois des exceptions : « Peinture de bateau/ sur/ Un vieux T-shirt ».
Entre un Kerouac du pops, s’exerçant à une forme rigide et exigeante, et un Kerouac du chorus, déluré et souffrant bien peu de contraintes, ses lecteurs, sans être comblés, continueront à admirer la vivacité de son talent ; n’est-ce pas, déjà, une chance ?

Jack Kerouac
Mexico City Blues
Traduit de l’américain
et présenté par Pierre Joris
Points-Seuil
260 pages, 7,50
Le Livre des haïku
Traduit de l’américain
et préfacé
par Bertrand Agostini
(édition bilingue)
La Table ronde
500 pages, 23

Spirituellement vôtre Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°76 , septembre 2006.
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