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Domaine étranger L’Histoire d’une vie

septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76 | par Lise Beninca

Exilé depuis vingt ans aux États-Unis, Norman Manea se plie à l’exercice autobiographique après un voyage de retour en Roumanie. Indissociable de l’histoire personnelle, le destin de tout un pays.

Le Retour du hooligan

Lorsque le narrateur ouvre les yeux en ce printemps 1997, il se trouve au Paradis. La rue est animée, les enseignes clignotent. Mais une sirène retentissant au loin suffit à faire resurgir l’image de l’Enfer, jusque dans cet Autre Monde où il a trouvé refuge. L’ironique Paradis de Norman Manea, c’est les États-Unis, où il s’est exilé en 1986, fuyant le régime communiste d’une Roumanie où il était devenu indésirable.
Après plus de dix ans, l’écrivain se prépare à retourner dans son pays. Il emporte avec lui un carnet dans lequel consigner ses pensées, ses discussions, quelques phrases volées à des écrivains et des philosophes pour mieux affronter l’épreuve du voyage. Par vagues répétées, il y évoquera les étapes d’un cheminement qui l’a contraint à quitter sa patrie : la tyrannie du fascisme, celle du communisme, jusqu’à la tyrannie maternelle, marque indélébile de la « maladie du ghetto ».
Norman Manea est né en Bucovine en 1936. À l’âge de 5 ans, il a été déporté comme l’ensemble de la population juive dans un camp de concentration de Transnistrie. « Le train vous emmenait vers l’Est. À l’Est d’Eden. » Lorsqu’il revient en avril 1945, il a 9 ans et le sentiment d’être déjà un vieillard. « Malgré les joies et les subterfuges qu’allait lui offrir le Monde d’Après, il resterait un gamin obligé d’apprendre, l’âge venu, l’alphabet des sourds-muets, et contraint à d’infantiles balbutiements pleins de gratitude. »
L’autobiographie se construit tantôt avec la distance de la troisième personne du singulier, tantôt par le recours au « je », dans une chronologie éclatée, ressassée. Elle retrace soixante ans d’une vie marquée par la brutalité de l’Histoire, le portrait vivant d’une famille qui a survécu tant bien que mal à la série d’horreurs commises par Hitler, Staline et Ceausescu, avec en prime la catastrophe de Tchernobyl qui leur offre « en dessert, la pomme d’or. (…) Des pommes superbes, déchargées du camion sur l’asphalte, en pleine pollution radioactive. »
Le livre est tout ensemble une méditation sur l’exil et la liberté, la mémoire et la langue, l’isolement et la communauté. Une étude psychologique et politique par laquelle l’auteur redessine les méandres de son parcours, de l’horreur des camps comme un grand blanc dans la mémoire, à la fascination pour l’idéologie communiste d’après-guerre qui l’a conduit à exercer avec zèle la fonction de secrétaire de l’Union de la jeunesse ouvrière. « C’est ainsi qu’à treize ans à peine, âge de la maturité chez les Juifs, je devins partie prenante du projet de bonheur universel. » Très vite, il prend conscience du système auquel il participe : réunions, exclusions, délations, une farce tragi-comique qui culminera avec Ceausescu (« le Clown des Carpates »). Devenu écrivain et essayiste, il signe un article contenant une critique du nouveau national-communisme roumain. Des menaces lui sont adressées. Il doit quitter la Roumanie. « À cinq ans la première fois, à cause d’un Dictateur. À cinquante ans, à cause d’un autre Dictateur et d’une idéologie opposée. Quelle blague ! »
Lorsque il publie, depuis les États-Unis, un article mettant en cause Mircea Eliade pour ses relations, dans les années trente, avec la Garde de Fer, la vie de Norman Manea est sérieusement mise en danger. Pour la presse communiste roumaine, il est définitivement l’ « anti-parti », le « traître », le « nain de Jérusalem », voire un « agent américain ». Il est le hooligan, le dissident, l’exclu. Une caricature de lui-même à laquelle il redoute d’être confronté.
Le Retour du hooligan, au-delà de l’autobiographie, est un essai satirique qui dénonce avec force le spectacle auquel la Roumanie a été contrainte, sous le pouvoir de marionnettes dictatoriales. « « Il faut accepter la critique, quand bien même elle ne serait juste qu’à 5 % », entendait-on répéter lors des réunions, dans les premières années du socialisme. La règle, promulguée par le grand Staline et que personne n’aurait osé contester, faute des 5 % de courage nécessaires, instaurait en réalité la dictature du mensonge : accepter comme vérité 95 % du mensonge, c’était promouvoir la délation et le mensonge. » Sous la plume de Norman Manea, la Roumanie troque souvent son nom contre celui de Jormanie, image galvaudée du pays aimé. Jormanie fasciste, communiste ou capitaliste, comme autant de costumes de foire portés les uns après les autres.
Quant à la littérature, elle est ancrée depuis l’enfance, à travers la librairie du grand-père maternel ou le livre de contes à la couverture verte, « qui renfermait la merveille des merveilles : les mots ». Elle représente le « quelque chose d’autre » dont l’enfant éprouve impérieusement le besoin et qui va le sauver, « grâce au dialogue soudain engagé avec des amis invisibles, de la mutilation imposée par l’Autorité ». Le premier livre de Norman Manea est paru en Roumanie en 1969. « J’avais enfin trouvé mon domicile véritable. La langue promet non seulement la résurrection, mais aussi la légitimation, la citoyenneté, l’appartenance authentiques. » Mais lorsque les mots eux-mêmes se trouvent annexés par la dictature (« À la massification sociale correspondait la massification du langage »), il ne lui reste plus qu’à emporter sa langue avec lui, « comme une maison ». Il est aujourd’hui l’auteur roumain le plus traduit. De son œuvre, centrée sur la condition juive et la vie quotidienne sous un régime totalitaire, deux recueils de nouvelles ont été publiés chez Albin Michel, Le Thé de Proust (1990) et Le Bonheur obligatoire (1991).

Lise Benincà

Le Retour du hooligan
Norman Manea
Traduit du roumain par Nicolas Véron
Seuil, 456 pages, 22,50

L’Histoire d’une vie Par Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°76 , septembre 2006.
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