Si l’on connaît assez bien les Indiens (ou natifs américains) de l’Amérique du nord, ceux d’Argentine sont les parents pauvres de la littérature. Ce n’est pas le moindre mérite de Leopoldo Brizuela (né en 1963) que de rendre une dignité à ces vaincus, ces êtres farouches et frustes d’entre pampa et Terre de feu. Il nous livre là un recueil de nouvelles étranges, emplies de personnages exceptionnels. C’est ainsi que la « captive » blanche, bien qu’adolescente, saura tenir la dragée haute à ses poursuivants sauvages grâce à une stratégie née de l’observation de leurs mœurs de cavaliers nomades. Elle ne se donnera à celui qui la désire qu’au terme d’une course initiatique, avant d’être livrée au supplice rituel réservé aux captives : « ils lui arrachèrent minutieusement la plante des pieds ». Plus loin, dans une sorte de composition postmoderne et borgesienne, il faut à Brizuela « trente-huit témoignages » pour rendre compte d’« une vie imaginaire de Ceferino Namuncura ». Fils d’un cacique qui fut le dernier à être à la tête de la « Confédération indigène », il fut après la défaite, envoyé à Buenos Aires, fit des études religieuses au point d’être présenté au Pape, avant de mourir précocement. Presque sanctifié dans la mémoire des Argentins démunis, il est l’objet d’un mythe que tente de débrouiller l’écrivain. Est-ce un « monstre », ce qui nécessite de « tuer l’Indien en soi », ou un saint martyr ? Dans « Lune rouge », un chaman « gardien du feu » est le symbole de l’identité de ces peuples perdus… On sera sensible à l’écriture soignée, hautaine, en tout cas absolument évocatrice, de Brizuela.
Le Plaisir de la captive de Leopoldo Brizuela
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Bernard Tissier, José Corti, 264 pages, 19 €
Domaine étranger Sauvage Terre de feu
septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Sauvage Terre de feu
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°76
, septembre 2006.