303 N°93 (Julien Gracq)

Dur défi que de consacrer un numéro spécial de 250 pages à un homme qui a toujours refusé d’être placé sur le devant de la scène littéraire déclinant, s’il faut un exemple marquant, (et qu’est-ce qui l’est plus en ces temps modernes que d’ignorer sciemment les honneurs médiatiques ?) le Goncourt en 1951, et vivant aujourd’hui dans ce qui serait appelé une retraite, si l’on cédait aux clichés du grand-écrivain-solitaire-renonçant-au-monde, et qu’on ne savait écouter ceux qui le connaissent un peu. Julien Gracq est tout à la fois, un mythe, un homme et un écrivain défiant le temps, un esprit délicat et direct, sans artifice, une terre pure que tant d’autres auteurs ont abordé avec au cœur un respect inaltérable. Dans un numéro hors série qui inaugure son élégante nouvelle maquette, la revue 303, tout en restant sur les bords de Loire qui nourrissent son existence depuis sa création le titre est issu de l’addition des numéros des cinq départements de l’Ouest fête les 96 ans de l’homme de Saint-Florent. Espace particulier, sans comparaison, où histoire, architecture, littérature, peinture, musique et techniques se côtoient habituellement, la revue ici se déploie, et la Loire devient les bords du monde. Nulle démarche officielle qui pourrait avoir le défaut de nous faire prendre l’homme pour un monument, mais une visite de voisinage, de courtoisie et d’amitié sincère.
Une soixantaine de témoins ont pris la plume sous l’égide de Jacques Boislève pour transmettre ce qui dépasse l’aporie des images d’Epinal et analyses académiques dissécantes. Des visites qui semblent dotées d’une nature particulière, espace-temps affranchi des repères habituels, passé et présent réconciliés « (n)ous étions en 1915 et au présent » se souvient François Bon rassemblées en une gamme harmonique, une palette de couleurs qui n’existent nulle part ailleurs qu’entre les ombres et la lumière du salon ou d’un morceau du jardin de la maison de Saint-Florent, des tonalités qui surgiraient d’un instrument hybride et parfait des récits qui transcrivent la rencontre, anodine et simple, ils le disent tous et on les croit, avec la poésie au quotidien, dans son plus simple appareil. « Nous sommes doublement à ce qu’il y a, par corps et en pensée. Ces deux modes de présence au monde sont solidaires, mais leur liaison reste essentiellement indéterminée » écrit Bergounioux. Par chacun de ces récits, Gracq semble incarner cette liaison par sa vivacité, cette attention à la présence de l’autre qui émane de lui, en « un vibrant assentiment aux êtres et aux choses, un oui de résonance ou d’unisson au monde » comme le résume Roland Halbert. Un numéro exceptionnel, ciselé pour nous donner envie de lire et relire Gracq et d’aller encore à sa rencontre.
Lucie Clair
303 N°93 (hors série Julien Gracq), 256 pages, 30 €
(Hôtel de la Région, 1, rue de la Loire 44 966 Nantes cedex 9)
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