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L'Anachronique Air de Paris

février 2007 | Le Matricule des Anges n°80 | par Éric Holder

Comme en rêve nocturne, j’habitais maintenant le Quartier Latin, près du Carrefour Buci. J’avais sauté d’arbre en arbre, depuis le Médoc, pour atterrir à l’Hôtel Les Marronniers.
Je glissai le long du fût
et me postai dans la rue
à côté d’un horodateur
pour avoir toujours l’heure
.
Alors quoi ! Mon sac reposait là-haut, dans une chambre avec salle de bains, ce qui me donnait le droit d’être concierge, bientôt rejoint par celui du 19, rue Jacob, en maillot de foot bleu et blanc. Cet hiver n’en finit pas d’être délicieux.

 Vous attendez un taxi ? demanda-t-il.

 Pas du tout, je fume.
Il eut l’air désappointé, je lui ôtais un privilège, celui de ne plus être seul, dans ce renfoncement précis de la rue Jacob, à jouir du spectacle. La largeur du trottoir, à cet endroit, n’autorisait le défilé que d’une personne à la fois. Chacune, parée de vêtements, de détails, protégée par l’anonymat de la ville, offrait un caractère. Un caractère ? Plutôt le songe que nous poursuivons de nous-mêmes, le personnage d’un film permanent et dans lequel nous sommes explorateur, dirigeante avisée, sportif de haut niveau, écrivain connu. Quelques-uns, se sachant observés, sont touchés par une grâce de comédiens sur les planches. Nos visages rayonnent au point qu’ils en deviennent flous.
C’était la période des soldes. Des femmes, souvent par paires, promenaient de grands sacs où se lisaient les noms de créateurs. Ceux qui pesaient aux bouts des bras de Julie Christie, dans Le Docteur Jivago, semblaient contenir autre chose que des habits. Je ne me trompais pas. Des livres.

 Laissez-moi vous aider…
Maillot de foot croyait que j’enlevais une Sabine.

 Madame est enceinte, précisai-je.
« Le huitième mois… », dit-elle plus tard, reprenant son haleine. Nous arrivions en vue de la galerie où elle était secrétaire, rue de l’Université, à deux encablures (400 m) de l’endroit où nous nous étions rencontrés. Les ficelles au bout desquelles pendaient dix tomes du Catalogue raisonné Picasso, par Zervos, me sciaient les doigts. Elle m’offrit un café dans l’arrière-boutique nantie d’un évier de cuisine.
Nous soufflions sur nos gobelets quand :

 Je peux me permettre ? demandai-je en montrant son ventre.
Julie Christie, débarrassée de sa toque et de son chapeau, me regarda fixement sans répondre. Ses yeux, à l’expression soudain farouche, étaient cernés limite beurre noir.

 Je n’ai plus éprouvé cela depuis seize ans, insistai-je. L’âge de mon dernier…
Je ne sais combien de temps je laissais la main posée sur son foyer de douceur, penché comme un médecin. En ressortant rue de l’Université, j’en gardais une chaleur au creux de la paume, je me disais, « Quel cadeau de vieillir, la dérive dans Paris confine vraiment au rêve, à présent que je demeure au cœur du sixième, que je discute avec le numéro onze de l’équipe nationale, que je soupèse le bébé d’une inconnue et que je regagne un parcmètre. »
L’impression d’être le jouet de circonstances successives s’aggrava lorsque je vis paraître du fond de l’horizon Anne, ma sœur. Quel personnage interprétait-elle ? Une sauvage, sans doute, avec sa chevelure châtaine, épaisse, bouclée, une écharpe indienne, un blouson de garçon en daim, des bottes de cow-boy jaunes. J’avais entendu dire qu’elle travaillait dans une boulangerie. Elle me croyait en Province.
Nous n’eûmes pas d’effusion, pas un mot jusqu’à nous rejoindre. Je guettais au bord de ses yeux la naissance d’un liseré rouge. Un voile d’eau les remplissait. La pluie des souvenirs.

 Tu as un peu de temps ? demanda-t-elle.

 Et toi, tu sors du boulot ?

 Oui.
Nous allâmes marcher au bord du quai Malaquais. Ses talons en biseau résonnaient sur le pavé inégal. Les voitures filaient au-dessus sans qu’on pût les voir. Seule présence, des pigeons, des mouettes, se tenant très droits, affrontaient le vent, perchés sur les amarres de « Marie-Jeanne », une péniche, du « Commandant Beinier », le Centre de secours fluvial. Je montrai à Anne la frise de grotesques qui orne le Pont-Neuf, le saule à la pointe de l’île de la Cité, vénéré par une communauté de Russes à Paris qui prétendent que le Christ y a été pendu.

 Tu m’embobines…
Anne souriait.

 Il est possible que ce soit le clou autour duquel tourne la capitale, ajoutai-je. Peut-être commence-t-il à se faire vieux. Regarde, on a planté un jeune à côté.
Tandis que nous nous interrogions sur la longévité des saules, je contemplais son profil découpé sur fond de nuages au galop. Impossible, elle, de la trouver vieillie. Une sœur, c’est une femme qui ne vous quitte pas. Les gestes de la gamine continuent de courir sous l’enveloppe dont les rides s’effacent à mesure. L’enfant en nous reconnaît un autre enfant. Lui non plus n’est pas mort.
Nous avions rarement été nous promener ensemble, du temps que nous vivions sous le même toit. Sauf une fois, sur les rochers de la jetée qui s’achevait en sémaphore, à l’entrée d’un port. La nuit commençait à tomber, nous avions vu les lumières de Sainte-Maxime s’allumer, de l’autre côté de la baie.

 Tu portais une veste de treillis militaire, dit-elle, rompant le silence.

 Bon sang ! Comment sais-tu… ?
Elle cligna de l’œil.

 Le clapotis.

Air de Paris Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°80 , février 2007.
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