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Égarés, oubliés Le fleuve et l’ami

mars 2007 | Le Matricule des Anges n°81 | par Éric Dussert

Fils d’un pêcheur du Niger, Damouré Zika fut de toutes les aventures cinématographiques et ethnographiques de Jean Rouch. Ses rares écrits sont de la littérature brute, naturelle, vraie.

C’est sur les conseils avisés de Dominique Poncet, désormais nostromo du blog dubeaumonde (www.dubeaumonde.com) que nous avions pris connaissance d’un texte de Damouré Zika présenté dans les pages de la Nouvelle Nouvelle Revue française de janvier 1956. C’était la belle époque de cette revue où officiaient Jean Paulhan et Marcel Arland, deux hommes soucieux des curiosités, aimables et accueillant Pierre Bettencourt ou Gaston Chaissac. C’était aussi la belle époque où Jean Dubuffet s’en prenait à la culture cultivée afin d’asseoir enfin l’art des hétéroclites, des naïfs, des outsiders. Il posait les premières pierres de l’art brut tandis que Camille Bryen et Bernard Gheerbrant composaient pour le compte de K Éditeur un volume d’écrits libres, simples et sauvages, c’est-à-dire non domestiqués par le savoir, non polis par les usages sociaux, sans façons. Des écrits jaillissants d’authentiques fous littéraires (Boncors, Brisset, etc.), d’enfants au front étoilé, de créateurs sans souci des échelles de valeur ou du succès. Damouré Zika fut l’un des contributeurs de cette magistrale Anthologie de la poésie naturelle qui fit, en 1949, son effet et reste recherchée. Elle offrait au jeune Zika, né en 1924 à Niamey, de publier ses « Aventures de Mékoy (Celui qui a une bouche) » qui devançaient de peu la traduction par Raymond Queneau de L’Ivrogne dans la brousse (1953) de l’anglophone Amos Tutuola, rusé conteur d’aventures bien magiques. Trois ans plus tard, Damouré Zika ne déméritait pas : son « Journal de route », fruit d’un long voyage entrepris au fil du Niger, de sa source à la mer, publié en trois livraisons de la NNRf, de janvier à mars 1956 donnait le ton, mieux encore que le court récit de Mékoy.
Ce journal incroyable, tombé en désuétude pour des raisons qu’on ignore, fut donc rédigé par un jeune homme de Niamey embarqué dans un voyage de plusieurs mois. Pourquoi ? Comment ? Il faut remonter aux années 1941-1942 et à l’arrivée du jeune ingénieur Jean Rouch pour expliquer l’histoire de cet écrit singulier. Fils du commandant de marin Jules Rouch, explorateur polaire aux côtés de Charcot sur le Pourquoi Pas ?, Jean Rouch s’était destiné à construire des Ponts et des Chaussées en suivant les enseignements de l’école du même nom. La guerre bridant les désirs d’édification d’une population vaincue, l’ingénieur, qui avait découvert les masques dogons et la peinture de Giorgio de Chirico dans la revue Le Minotaure d’Albert Skira, se retrouve posté à Niamey où il doit contre marigots et climat tracer droites des voies de circulation. Le dieu Dongo s’en mêle fallait pas passer sur ses terres et foudroie des ouvriers. Jean Rouch découvre l’Afrique des maléfices, des sorciers, des rituels. Un jeune ouvrier, fils d’un pêcheur sorko versé dans l’art des simples, lui explique la face cachée de l’épisode et lui offre d’assister au rituel auquel va procéder sa « grand-mère » Kalia pour apaiser le dieu furibond. Cette rencontre et ce rituel durant lequel il voit « une vieille femme se transformer en un dieu véhément » vont changer la vie de Jean Rouch. Et celle de Damouré Zika.
Désormais liés d’une amitié forte, Rouch et Zika vont devenir les deux faces d’une même pièce : l’un apportant les savoirs secrets, l’autre jouant son rôle de mentor. C’est ainsi que Jean Rouch confie Zika à un chirurgien, Jacques Pinson, grâce auquel il devient infirmier. En retour, Zika est son informateur privilégié et son comédien fétiche lorsqu’il se lancera dans la réalisation de films ethnographiques ou de fiction. On peut s’avancer à dire que Damouré Zika fut, jusqu’à l’accident de la circulation de février 2004 qui tue Jean Rouch et le blesse lui-même, le double africain de Jean Rouch, « sa part inconsciente » (B. Surugue). Présent sur chaque tournage d’une longue série de films dont le premier était consacré aux rituels sorciers (Initiation à la danse des possédés, 1949), Zika fut d’abord de cette expédition ethnographique qui conduisit Rouch et deux compères des sources du Niger à la mer : neuf mois d’un trajet éreintant dans la boucle du Niger qui dure de juillet 1946 à avril 1947. Rouch l’a raconté dans Le Niger en pirogue (Nathan, 1954). De son côté, Damouré avait tenu un Journal de route. Dès la fin du périple, il l’avait transmis à Jane Rouch, la première épouse du cinéaste, qui, après dactylographie, l’avait fait publier dans la Nouvelle Nouvelle Revue française. Mais depuis 1949 la littérature des marges avait été priée de ne plus troubler les jeux des « grands écrivains » estampillés de l’après-guerre. La « poésie naturelle » était conviée à ne pas s’écarter de ses marges broussailleuses. « La parole, confiait-il récemment à un journal du Niger, avait de la place dans la société. » Il faudrait attendre le numéro de Plein Chant conçu par Pierre Ziegelmeyer pour se régaler à nouveau de La Parole africaine (1977) et fouiller les catalogues des maisons Présence Africaine et Karthala pour tenter d’en découvrir plus.
En toute innocence, Damouré Zika avait offert sa prose dépeignée au cœur même du temple de la littérature lettrée. Il faut espérer que ses écrits libres, frais, « naturels » et hardis puissent trouver leurs lecteurs. Parce qu’ils représentent ce que la littérature devrait être toujours, un don d’histoires nouvelles dans une langue singulière. Une transmission généreuse, sans arrière-pensée, une aventure individuelle qui se résout dans le collectif et s’y diffuse. L’infirmier de santé Damouré Zika ne nous contredira pas : la littérature, c’est cadeau.

* Les éditions Montparnasse rééditent depuis l’an dernier l’œuvre cinématographique de Jean Rouch au format DVD.

Le fleuve et l’ami Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°81 , mars 2007.
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