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Poésie La chair des mots

avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82 | par Richard Blin

En une sorte d’autobiographie désinnocentée, Olivier Barbarant décline, sur le mode de la plénitude sensorielle, les germinations et éclosions qui forgent l’identité textuelle comme l’identité individuelle.

Je ne suis pas Victor Hugo

C’est d’un subtil jeu avec le « je » qu’il s’agit dans Je ne suis pas Victor Hugo. Qui suis-je ? ou plutôt qui ai-je été, se demande Olivier Barbarant au fil d’une suite autobiographique musicalement conçue et relevant autant du désir que de la nécessité d’approcher la vérité d’une relation au monde. En tentant de retrouver l’intériorité de l’enfant et de l’adolescent qu’il fut, en cherchant à reconstituer le mouvement de ce qui fait une identité, en éprouvant à nouveau le passé, même si impressions, perceptions ou sentiments ainsi redéployés ne peuvent qu’être l’imparfait reflet de ce qu’ils furent. Car Barbarant n’est pas dupe des illusions propres à tout projet autobiographique. Il connaît le piège de « l’illusion rétrospective » changeant la vie en destin, dont parle Sartre dans Les Mots. Il n’ignore rien de la loi du genre qui, exigeant que soient rendus des comptes sans tricherie, masque mal le danger d’une reconstruction de soi à partir d’une mise en cohérence de fragments épars ou d’éclats multiples. Il sait bien que la vérité absolue sur un être n’est qu’un mirage et qu’il y aura toujours quoi qu’il prenne comme précautions du non-dit, du tu à l’insu du « moi écrivant » se remémorant un moi disparu. Assumant toutes ces limites, et se fixant comme règle de ne pas renoncer aux détails, « de ne pas trier dans l’émeute qu’ils agitent au fond de la mémoire », il fait donc le pari de jeter une lumière crue sur une vraisemblance, quitte à laisser dans l’ombre une vérité impossible à dire, (et l’inavouable regret de n’être pas Victor Hugo ?).
Ce qui émerge alors de ce fonds primitif nous livre le pourquoi de son approche hédoniste de la langue, de son goût de lecteur préférant « un morceau de phrase qui se cabre, l’orage d’une image ou un chuintement de syllabes » à tout récit. Fils d’instituteurs, né un jour de neige de mars 1966, en même temps que l’Élégie à Pablo Neruda, dans laquelle Aragon signait « la faillite d’un rêve », autrement dit né sous les auspices de la page blanche, du poème et de la lutte pour la liberté, Olivier Barbarant est devenu cet homme refusant « en politique comme en poésie, la débâcle de la révolte ». Ne pouvant s’habituer aux renoncements contemporains, n’admettant pas « l’adaptation à ce qui est », « comme si ce qui est ne pouvait pas être autrement », il est resté fidèle à son enfance, à une pratique du sentir et à la conscience perceptive qui, le confrontant au vif du monde, l’autorise à vouloir réconcilier éthique et esthétique.
Je ne suis pas Victor Hugo regorge donc de portraits d’instants fondateurs, de ces moments d’accélération du présent où soudain s’engouffrent et se résolvent attentes, désirs ou angoisses. Des crêtes se détachant sur la platitude du quotidien, des épiphanies amplificatrices d’existence, comme la découverte, qui fut un véritable « ravissement » doublé d’une « initiation lyrique », des Nourritures terrestres d’André Gide, dont il aurait aimé être un « des compagnons de quelques saisons ». Quelqu’un mettait enfin des mots sur ses appétits « ce qui pourrait bien être la définition même de la littérature, la quête aux lèvres d’un autre plus doué et plus réfléchi d’une forme permettant de s’approprier la nuée de ce qui fut vécu, ou de ce qui le sera, parce qu’une phrase précise l’enveloppe, la ganse ». C’était « un désir exaspéré de joies, l’éclat soudain d’un monde neuf, pris toujours au vif de son éclosion, (…) la délectation suprême d’une ivresse constamment contenue ». Ou comme le rôle cardinal des mirabelles et des quetsches de l’enfance dont le parfum, les formes, la consistance et les couleurs donneront au temps « les teintes et la consistance d’un fruit » gourmandise première qui, aujourd’hui encore, lui fait associer toute chair et tout mot « avec on ne sait trop quelle pulpe », et toute parole à « une sève, un miel à la fois et un vin, dans tous les cas une saveur ». Plénitude sensorielle, nébuleuse d’aspirations qu’exaltèrent aussi l’éveil de la chair, l’amour des garçons, la découverte de la rencontre du décalage aussi « entre le vertige où m’appelaient les corps et la convulsion un peu mesquine qui s’ensuivait » et jusqu’à l’amour pour une femme, et la « scandaleuse évidence » d’être pourtant « resté tel qu’en moi-même ».
Lectures (« la découverte d’une œuvre écrite relève, j’en suis certain, ou presque, d’une érotique à peine particulière »), engouements, engagements, différences, Olivier Barbarant parvient à nous faire sentir le pouls d’une existence et jusqu’à la matière de la solitude qui fut aussi la sienne. Lire Je ne suis pas Victor Hugo, c’est mieux saisir l’origine de la présence saturante des émotions dans ce qu’il écrit, ainsi que la façon dont il restitue le goût des choses. Mots-sensations, perceptions magnifiées, tessiture de la voix, lumières et couleurs procèdent de ce tissu d’expérience, de cette exigence de forme et de sens qui animent et nourrissent le souci qu’il a de la langue et le plaisir qu’il prend à la faire vibrer et danser passionnément, persuadé qu’il est, qu’il existe une relation « aussi souterraine, énigmatique, mystérieuse et compliquée qu’on voudra » entre « la peur systématique de la passion en toute chose (à commencer par la littérature) et l’abandon, sur le terrain politique, des exigences et des ambitions ». À méditer.

Je ne suis pas
Victor Hugo

Olivier Barbarant
Champ Vallon
224 pages, 16

La chair des mots Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°82 , avril 2007.
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