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Domaine étranger Les terres de l’inhospitalité

avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82 | par Jérôme Goude

Dans un triptyque où la frontière entre réel et imaginaire s’estompe, l’Iranien Shahrokh Meskoob (1924-2005) délivre la force tragique d’un chant tourné tant vers l’Orient que vers l’Occident.

Partir, rester, revenir

Le 15 août 1953, soutenue par une partie de l’armée iranienne et des propriétaires fonciers, la CIA fomente un coup d’État, l’opération Ajax, contre le gouvernement du Premier ministre antibritannique Mohammad Mossadegh. Suite à l’échec de cette conspiration politique, le shah Mohammad Réza fuit l’Iran et les mouvements de répressions au terme desquels Shahrokh Meskoob lui-même sera arrêté puis emprisonné durant trois ans. Après son retour, le shah, pourvu d’une police secrète (le Savak), institue en mars 1975 le Rastakhiz, un système du parti unique. Le mécontentement, lié à la prévalence de l’enrichissement pétrolier, orchestré par les opposants politiques et les partisans de l’ayatollah Khomeyni, oblige ce dernier à se démettre de ses pouvoirs. Le 31 mars 1979, à peine sorti de la dictature impériale, l’Iran couronne l’imam Khomeyni qui, avec le concours des chefs religieux chiites, s’empresse de créer une milice armée, le Pasdaran, pour assurer l’avènement de la république islamique. Contraint à l’exil dès 1979, Meskoob se réfugie à Paris où il devient le porte-parole d’un Iran rongé par le fondamentalisme religieux, meurtri et enrichi par des siècles d’invasions, de dissensions ethniques.
Écrits séparément, Chronique du voyageur (New York, 1984), Dialogue dans le jardin (Téhéran, 1992) et Voyage dans le rêve (Paris, 1998), forment désormais les trois maillons à la fois autonomes et complémentaires d’un cycle qui n’a rien à envier au meilleur de la tragédie hellénique. Conformément au vœu de l’auteur, alors inspiré par l’ingéniosité de Sorour Kasmaï, ces trois textes sont réunis et publiés sous leur titre définitif : Partir, rester, revenir. Le mouvement ternaire qui anime ce titre illustre parfaitement la tension vertigineuse d’un itinéraire singulier, émaillé d’innombrables ruptures et soutendu par une infrangible continuité.
La phrase concise et elliptique qui inaugure Chronique du voyageur, « Je sors de chez moi. », donne le la d’une errance géographique démultipliée et cernée par le regard persécuteur de l’ « Ange de la Justice ». Le narrateur de ce récit kafkaïen, d’une confondante modernité, éclaire avec une ironie cinglante le statut de l’expatrié dans un monde abêti par la théorie du complot. Dans quel aéroport est-il ? Dans quelle ville ? Paris ? Téhéran ? Londres ? Qu’importe finalement, l’accueil, comme naguère l’Inquisition experte dans l’art de « guérir les plaies des âmes égarées », est partout le même. La haine et l’exclusion se moquent des frontières. Sous surveillance, tout réfugié doit rendre compte de la validité de son identité « comme un gibier qui marche dans la neige. A chaque pas, il faut laisser des traces. Pour un éventuel chasseur. » Et craindre toujours l’inique loi de « pâsdar » en tout genre, ces « rats » de la supranationalité…
Où fuir ? Dans les contes de Nézami ? Le jardin d’Ali Zadeh à Lâhidjân ? Ou dans l’imaginaire d’une miniature persane en compagnie de Farhad, un ami peintre ? Dialogue dans le jardin (déjà publié aux éditions Fourbis, 1998) multiplie les clins d’œil au substrat littéraire pehlevi (moyen perse) et au Livre des Rois de Ferdowsi en ouvrant les portes d’un monde merveilleux et mythologique dans lequel Maeterlinck aurait pu projeter ses deux amants. Mais voilà, tout paradis perdu est un « jardin né au désert de l’âme », une « image chimérique ». Et le « jardin calciné » des toiles de Farhad où gît pour seul refuge un « cube fermé » exprime très bien la déréliction de l’homme, son duel prométhéen de la « forme contre la nature ». Faut-il alors, en dernier lieu, revenir à Ispahan, près des siens, ne serait-ce qu’en rêve ? Près d’Agha Medhi, l’ami offensé d’une enfance révolue ? Ou bien de Maryam Salaki, cette jeune incarnation des saintes prostituées honteusement désirée ? Voyage dans le rêve s’éloigne sensiblement des jardins de Ghasreldasht, du « cyprès de Zoroastre » et de l’oiseau légendaire Simorgh, et mène non loin de la « sépulture brisée des âmes » dans les « éclats du miroir brisé du temps ». Tout commence par un « rêve étrange » et, au rythme d’une prose épique et dantesque, se délite. Traducteur du cycle sophocléen des Labdacides de Thèbes, lecteur avisé de l’épopée homérique, Shahrokh Meskoob convie le lecteur au royaume d’Hadès parce que les « défunts des années oubliées apparaissent plus vivants que les vivants ». Le « relent vert et fertile » du fleuve Zayandeh n’évoque-t-il pas le Léthé ? À moins que cela ne soit le Styx et que Shahrestani, ce guide inespéré, soit le Charon perse ? Un nautonier capable de conduire vers l’autre rivage, ce lieu du « non-où », la « terre des rêves »
Partir, rester, revenir laisse une empreinte indélébile et donne souvent, comme la plupart des chefs-d’œuvre, le sentiment du on-ne-peut-pas-mieux-dire. Et ce parce qu’à l’instar d’un J.-M. Coetzee, Meskoob allie sens profond de l’analyse historique, art de l’allégorie et bien dire : « Le ciel est sourd et aveugle. Pour étouffer le cri, le bourreau éclate d’un rire redoutable. Le chacal a un rire funeste, aussi répugnant que les larmes du crocodile. Le rire, plus terrible que la foudre, retentit et fait sauter la chape de terre cuite qui couvre le ciel. Le ciel n’existe plus. La nature est brute et dénudée. Des rossignols chauves picorent de leur bec métallique des fleurs artificielles. »

Partir, rester,
revenir

Shahrokh Meskoob
Traduit du persan
par Sorour Kasmaï,
Michel Parfenov
et Amir Moghani
Actes Sud
196 pages, 20

Les terres de l’inhospitalité Par Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°82 , avril 2007.
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