Les seins allant par deux, rien d’étonnant à ce qu’un an après Seins, apparaisse d’Autres seins. Outre l’aspect anatomique et l’indispensable équilibre, c’est aussi que le sujet est inépuisable tant la position qu’il occupe à l’avant-scène est une constante invite à le découvrir et à le redécouvrir…
Car comment être insensible à cette merveille d’innocence nue et de fragilité, à ce « bénitier de Dieu », à ces accélérateurs de passion, à ce foyer de sortilèges que sont les seins ? À l’instar de Jean Guerreschi, « l’amateur, le mateur, le laudateur de seins, le grand prêtre de la liberté des seins, le prophète annonceur de la communion de tous les seins », on aimerait pouvoir les aimer tous, ces fruits pectoraux en forme de poire, de pomme, de mangue, de pamplemousse ou, dans leur version plus offensive, en tête d’obus. Les désirés, les désirants, les intouchés, les révérés, ceux qui poussent au respect comme ceux qui « poussent pour les mains qu’ils aiment » ; les très écartés comme ceux qui bandent éhontément du bout, ceux que la femme garde jalousement pour l’homme qu’elle aime, comme ceux des saintes, ceux des « femmes qui zozotent » comme ceux qui regardent « légèrement en haut et vers le dehors », selon le canon du « beau sein » tel que le définit « l’olympe médical », sans oublier les seins de rêve, « les seuls seins au monde qui ne se flétrissent pas », et « dont la jeunesse est éternelle ».
Soixante-quatre variations donc, relevant du culte des seins, de leurs singularités et de leur promesse de jouissance. C’est que, pôle d’aimantation et proue du désir, déclencheur de ces scénarios indissociables d’un érotisme un tant soit peu élaboré, le sein peut tout aussi bien prêcher que faire signe, s’exhiber ou paraître en gloire, petit soleil plus ou moins véhément dont la force de frappe irradie. Défi, don, provocation, tout en théâtralité, en insinuation et en mystère, le sein n’ignore rien des stratégies de la séduction. Car si, chez Ramón Gómez de la Serna - autre adorateur du sein, qui, il y a un peu plus d’un siècle, nous donna un fol inventaire de Seins (réed. André Dimanche éditeur), les peaux ne se rencontrent jamais, si le sein répudie en quelque sorte au sexe, ce n’est pas du tout le cas chez Jean Guerreschi. Ici, le sein conduit droit à la plénitude charnelle ou à la vérité sensuelle ou sexuelle de chacun, ne serait-ce que parce que nous avons souvent pour les seins « le regard des aveugles, qui voient avec les mains ». Chez Guerreschi, les affects circulent, se déplacent, ricochent d’un texte à l’autre. Discours amoureux jouant de « l’effet de réel » et de la complicité du lecteur, Autres seins comme Seins, sont de ces ouvrages dont la lecture ne peut qu’éveiller souvenirs, échos, fantasmes. On lit en voyeur et/ou connaisseur, on rit, on partage, on s’amuse de l’étrange vertige où nous plonge cette pléthore de seins.
La libido joyeuse et l’érotique déculpabilisée, Jean Guerreschi sait magnifiquement rendre compte de la façon dont les seins sollicitent l’imaginaire. Il en joue comme il joue du rêve et de la réalité, du grave et du burlesque (« Si l’humanité était à refaire et que le Créateur sollicitât mon concours, je suggérerais que les femmes stupides soient dépourvues de seins »), de l’émotion et de l’idéalisation. « Les seins sont la forme que prend l’âme immortelle quand elle s’incarne entre des mains ». Un livre traversé de désirs, écrit autant pour « les-sans-sein-sous-la-main » que pour les mammolâtres. Un livre qui s’intéresse autant aux jambes « qui font oublier les seins » qu’aux raisons pour lesquelles « les seins aux grands desseins » finissent généralement mal. Qui réhabilite aussi, très poétiquement, les « seins des plates », s’interroge sur l’équation mesurant la courbe du sein ou sur les seins à partir desquels pourrait se mesurer « l’empan d’un philosophe ». Un vrai régal à lire toute affaire cessante et pour le pur plaisir.
Autres seins
Jean Guerreschi
Gallimard
304 pages, 19 €
Domaine français Morceaux choisis
juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84
| par
Richard Blin
Soixante-quatre autres variations d’un mammolâtre à l’érotique déculpabilisée. Les émois, les émerveillements et la verve débridée de Jean Guerreschi.
Un livre
Morceaux choisis
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°84
, juin 2007.