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Choses vues Après le 6 mai

juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84 | par Dominique Fabre

Paris n’est jamais très désert, à sept heures moins le quart du matin. Les gens, sur le chemin du métro, jetaient un œil sur les vitrines couvertes de contreplaqué. Il y avait eu de la casse. Un salon de coiffure avait morflé, deux magasins de fringues et des arrêts de bus. Les enfants se réveillaient pour aller au collège, avec leurs sacs à dos trop lourds. J’ai vu une belle femme se baisser pour prendre le gratuit, juste au sommet des marches qu’elle allait descendre. En une : le nouveau président se reposait sur le bateau d’un milliardaire. Ce qui est bien, comme nouvelle, mais à tout prendre, ne vaut pas une vraie nuit de sommeil. J’avais plus d’une heure d’avance et pas supplémentaire pour prendre le travail. En face, la caserne dormait. De la salle de classe, tout à heure, quand il ferait tout à fait jour, je verrai le salut au drapeau, pendant mon interro de verbes irréguliers. La cérémonie était un peu raccourcie s’il pleuvait. Il y avait des civils et des militaires, et le drapeau français, et un platane peut-être centenaire.

Au carrefour de Reuilly j’ai fait demi-tour, j’ai jeté le gratuit sur un tas de feuilles vertes, arrachées par le vent. Deux tentes nouvelles de sans-abri avaient été dressées, le long du mur de la caserne, au pays des futurs tous-propriétaires. Vers la Nation, le boulevard bruissait, de plus en plus de gens sortaient de leurs immeubles. Le monde les attendait, et les heures supplémentaires. Le magasin de vêtements vraiment pas chers s’en était pris plein la vitrine, je venais de le remarquer. Parfois, on n’a que les cafés pour patienter. Putain, cinq ans ! Les Africains du foyer de la rue Claude-Tillier étaient déjà assis devant un café verre d’eau, tournant résolument le dos à la télé grand écran qui montrait des matches de foot, des matches de basket, des matches de rugby, des autres matches ; les nageuses avaient toutes, pour ce que j’en voyais, un petit tatouage quelque part (hippocampe, papillon). Les Africains de la rue Claude-Tillier me rassurent, quand je vais au boulot, avec leur air de n’en avoir jamais rien à faire. Leurs feuilles hippiques, bien que récentes, étaient déjà toutes chiffonnées. Dans deux trois heures, on aurait aussi une bouillie de yachts et une purée de milliardaires au sommet des marches de la station du métro, car il s’était mis à bruiner. J’ai commandé un café. En attendant, tatouage sur l’épaule gauche ou en haut de la fesse droite : jeunesse : ah là là.

Trois lascars à côté de moi échangeaient leurs pensées du jour sur la croisière du président. Il a pas coûté un euro au contribuable ! il les a bien niqués, pas vrai ? Son acolyte rajouta oui, il les a super bien niqués. Pourtant, une mise au point restait à faire, le troisième s’en chargea. Il a quand même coûté, il avait des gardes du corps ! Ben ouais, opinèrent les deux autres. Mais le premier, ayant mûri sa réflexion, dit à ses potes, et même au garçon de café, et aux clients, et puis aux Africains qui n’en avaient rien à faire, mais attention, c’est lui le président quand même, faut voir à bien le protéger ! Sobrement, les deux lascars tombèrent d’accord sur ce point. Plus rien d’important ne s’est passé jusqu’à huit heures moins cinq. Les lascars s’en étaient allés avec des valises une grosse caisse à outils, une machine à couper le placo. Il pleuvait doucement, je voyais passer des mômes de mes classes, et ceux que j’avais décidé de massacrer avec mon interro de verbes irréguliers. Ils papotaient, ils rigolaient, ils ne devaient pas s’y attendre ! La pile de journaux gratuit était bientôt digérée en haut des marches, j’avais vaguement envie de dormir. Pas bon du tout tout ça. J’ai démarré.

On était tellement nombreux qu’on s’est retrouvés coincés à la grille les mômes et moi. On a bavardé un peu. C’est vrai qu’on a une interro msieur ? Oui, c’est vrai. Quoi, vous nous avez pas avertis, c’est dégueulasse ! Passe-moi ton carnet de correspondance, tu vas voir si c’est dégueulasse ! Mais non, y rigole le prof, t’inquiètes pas, a dit un autre. On se connaît bien lui et moi. Il aura bientôt 16 ans. On est allés tous les deux un peu à l’écart, le temps que ça se débloque à l’entrée. Vous êtes vénère hein msieur, c’est ça ? Non je suis pas énervé, pourquoi je serais énervé ? Allez, je sais bien que vous êtes vénère. C’est la faute à Sarko ? Vous pouvez me le dire à moi. Je vous connais. Il m’a tendu son gratuit pour me montrer : vous l’avez vu son bateau, il est chouette hein ? C’est pas le sien, j’ai répondu. Dis donc, vous êtes vraiment vénère aujourd’hui. Il a du bol Sarko, à tout à l’heure msieur ! Oui, c’est ça. On est tous rentrés dans les classes.

La pluie s’est arrêtée en deuxième heure. En troisième heure, j’ai dû commencer par confisquer des mp3, deux portables et des gratuits, comme souvent dans cette classe-là. Hé, vous avez vu les vitrines, msieur ? oui, j’ai dit. Bon, on va pas faire l’interro, on va faire unit six page 123. On est passé au futur. Elle leur plaît toujours cette leçon. Je serai pompier pompière, Brian sera dans la cuisine, je serai médecin, je serai rmiste, je serai comédienne, je serai mécano, je serai nourrice agréée. Et puis les mômes qui vous haussent les épaules et vous regardent, un peu gênés : moi msieur, franchement, ce que je ferai plus tard ? j’ai pas d’idée msieur, je sais pas.

Après le 6 mai Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°84 , juin 2007.
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