Vies parallèles de Blaise Cendrars et de Charles-Albert Cingria
Bien belle idée que de croiser sous un même regard les vies parallèles de ces deux flamboyants que furent, chacun à leur façon, Blaise Cendrars et Charles-Albert Cingria. Deux Suisses cosmopolites de naissance, deux bourlingueurs Cendrars plutôt en train et en bateau, Cingria à vélo qui savaient aussi voyager dans les livres. Deux amis aussi, du moins un temps, entre les années 20 et les années 40. Deux amoureux surtout de la littérature latine du Moyen Âge qu’ils découvrirent à travers Le Latin mystique de Remy de Gourmont et par le biais des moines de l’abbaye de Saint-Gall et du plus célèbre d’entre eux, Notker (840-912), qui eut l’idée de placer, sous les vocalises grégoriennes, des textes syllabiques pour permettre aux chanteurs de retenir plus facilement la mélodie. Cingria, dans La Civilisation de Saint-Gall, montre comment ces textes, appelés « séquences », « tropes » ou « proses », détachés de leur contexte, furent, grâce aux troubadours, à l’origine de la chanson populaire et de la poésie. Ce primat de la mélodie sur le texte, cette inspiration « séquentiaire » qui disparut à la Renaissance, Cingria la voit réapparaître chez Verlaine, Rimbaud, Claudel, Péguy, Whitman, et Cendrars. « Il m’apparaît que Cendrars surtout est un séquentiaire. Rien n’est plus cela que Le Panama ou les aventures de mes sept oncles ». Un dessin et un rythme, tout un jeu d’allitérations, de rimes, d’assonances finales ou intérieures donnant au tout un ton incantatoire, comme dans Pâques ou dans La Prose du transsibérien. Rapprochement essentiel, donc, que la musique, entre Cendrars et Cingria dont le style, tout en cadence et souplesse, sens du raccourci soudain et art du détour déconcertant, relève d’une véritable modulation harmonique. Le dernier livre de Bernard Delvaille, comme un clin d’œil complice à deux maîtres de la succulence verbale.
Vies parallèles de Blaise Cendrars & de Charles-Albert Cingria de Bernard Delvaille, La Bibliothèque, 94 pages, 12 €