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Domaine étranger J’écrirai ta tombe

septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86 | par Sophie Deltin

Placé aux confins de la mémoire et de l’imagination, l’écrivain marocain Mohamed Leftah désenfouit le souvenir d’un enfant mort-né et s’aventure dans une (en)quête de filiation.

L' Enfant de marbre

Être sensible aux signes, considérer le monde comme chose à décrypter ou à l’inverse, à chiffrer, n’est-ce pas là une vocation, un don ? Un don qui resterait sans effet sans l’écrivain qui, mettant à mal la disjonction présumée entre le réel et la fiction, crée parfois la chance de leur rencontre en ce point de « croisement spéculaire » qui donne justement tout son « envol » au nouveau récit, exubérant et poétique, de Mohamed Leftah. Tout commence à l’aube d’un jour de Toussaint par la lecture d’un livre, un roman de Carlos Fuentes, où il est question des Olé pour les véroniques de l’enfant matador El Nino de la Capea… « Comme si la réalité se conformait au rythme et aux figures du roman (mexicain) », le narrateur se retrouve quelques heures plus tard dans un cimetière chrétien en train de porter un pot de fleurs de véroniques, et découvre la tombe d’un enfant mort-né, du même nom de celui qu’il a perdu avec sa femme plusieurs années auparavant… Coïncidence ? Prédestination littéraire ?
Mohamed Leftah, dont l’imaginaire est fortement influencé par le surréalisme, n’invoque rien de moins que le pouvoir magique (son « sortilège ») de la lecture, et de son pendant, l’écriture, capable de recéler, pour qui sait seulement être attentif et interpréter, les lignes de force des « présages » ou des « prémonitions » susceptibles d’orienter nos existences. Pour Ahmed, le narrateur de ce texte étrange et doucement hypnotique intitulé « roman » (on y verrait une rêverie ou une autobiographie décalée), s’impose alors la nécessité d’entreprendre des recherches pour percer à jour « l’énigme béante » : qui est donc cet enfant, sinon le sien ? Comment retrouver le mécène anonyme qui pourvoit aux frais de sa tombe ? Une obsession qu’accompagne l’exigence impérieuse d’« écrire », à défaut de l’avoir construite, une sépulture à cet enfant, « afin de surprendre, à travers la maille des mots, quelques traits de (son) visage inconnu »
Dans son enquête, Ahmed fait la connaissance de Jeannot, l’employé du cimetière, mais surtout de Monique, une ancienne patronne de bar qui le réinitie aux plaisirs interdits de « la liqueur infernale », et qui, réincarnée sous les traits d’une « conteuse numide » lui donne bientôt l’assurance de lui faire entendre la voix de son enfant… Comme toujours chez Mohamed Leftah, la saveur des mots (ou de l’alcool) a tôt fait de monter à la tête, très vite la raison divague, se fissure, envahie peu à peu par un flux immatériel de songes, d’hallucinations et de réminiscences « hybrides ». À l’évidence, il y a quelque chose de proustien dans cette façon de déambuler dans l’espace-temps d’une mémoire, ample, brisée dans sa chronologie et ses rythmes, et dont l’écrivain marocain excelle à délivrer les éclats de plénitude. Le lecteur pourra retrouver ainsi ressuscité tout le monde de métamorphoses et de « frayeur émerveillée » qui peuple son œuvre entière : Warda, la barmaid au nom de rose ou Esther, la déesse de la fertilité, figures étincelantes de la « fosse » du bar « Le Don Quichotte » (Au bonheur des limbes) ou encore Ambre, la naine difforme du pays de Nubie (Ambre ou les métamorphoses de l’amour)… Avec au centre de cette constellation venue de l’autre côté de la nuit, l’irruption de la figure fantomale et démultipliée du père ce port d’attache si secret auquel Ahmed espère pouvoir arrimer la descendance que représente pour lui cet enfant qui n’a cessé de mourir en lui : « à travers moi et par-delà moi, l’ancêtre cherchait du regard le descendant qu’il n’avait jamais vu. » Entre le deuil d’un père et celui d’un enfant, c’est bien un lien, « quelque chose comme une réconciliation, une continuité renouvelée malgré les distances, les discordes » qu’il s’agit de créer, de réinventer par celui à qui il échoit d’assumer la dette de perpétuation du nom : une problématique d’appartenance, de filiation, à l’œuvre jusque dans la langue de Mohamed Leftah le français invariablement écrite dans le bruissement jubilatoire et invincible de sa langue maternelle, l’arabe.
C’est aussi, semble-t-il, une relation de filiation, biologique ou élective, que s’efforce de décliner plus ou moins habilement l’écrivain dans le recueil de nouvelles qui paraît simultanément aux éditions La Différence, faisant graviter ses personnages autour de la figure tutélaire de Hadj Si Mohammad, un maître d’école coranique, salafiste de la première heure mais « tolérant au vent de la modernité ». Ainsi de Chahid, son fils préféré devenu « martyr de notre temps » pour conjurer la beauté « satanique » du monde… Ou bien, de Gazzar, un de ses anciens élèves devenu égorgeur de camélidés jusqu’à en faire perdre la raison à l’une des femmes de son harem (« La petite chamelle du bon Dieu »)… Dans ces nouvelles dont l’unité reste passablement construite, le spectre de la décomposition et de la mort, double implacable du sexe et de toute forme de transgression, est là pour venir harceler une réalité que corrompt déjà le souvenir de l’enfance à jamais profanée par « l’ensauvagement » du désir quitte à ne plus savoir qui, de l’homme ou du chien, est « le plus chien que l’autre » (« Des chiens et des hommes »).

Sophie Deltin

Mohamed Leftah
L’Enfant de marbre
La Différence, 128 pages, 12
Un martyr de notre temps
La Différence, 96 pages, 10

J’écrirai ta tombe Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°86 , septembre 2007.
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