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Intemporels Un siècle de sang

septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86 | par Didier Garcia

Dans ce roman tout en sobriété, Augusto Roa Bastos (1917-2005) s’attaque aux blessures de sa terre natale. Sans complaisance.

Fils d’homme

Au Paraguay, la vie semble s’être écoulée plus difficilement qu’ailleurs. Plus douloureusement surtout. En témoigne ce premier volet d’une trilogie consacrée à l’histoire (récente) de la société paraguayenne : ce roman enjambe un peu plus d’un siècle, de la dictature exercée par Gaspar Francia (le « Robespierre de l’Amérique du Sud », figure centrale du volet suivant, Moi, le Suprême) à l’après-guerre du Chaco (1932-1935), qui opposa son pays à la Bolivie, et à laquelle l’auteur a participé (il avait alors 13 ans).
Mais s’agit vraiment d’un roman ? Dans les premiers chapitres du livre, on en doute. On croit plutôt avoir affaire à des nouvelles, et si l’on peine à établir d’emblée un lien entre elles, c’est qu’à l’instar d’un Faulkner ou d’un Claude Simon Augusto Roa Bastos s’est ingénié à malmener le déroulement chronologique de son intrigue, donnant ainsi au lecteur la déroutante impression que le temps lui-même a vécu son propre chaos.
C’est une société exsangue sur laquelle Fils d’homme lève le voile, sans fausse pudeur, une société figée dans deux petits villages (Sapukai et Itapé, nom romanesque d’Iturbe, chargé d’incarner le monde rural indien, et où l’écrivain paraguayen a passé une partie de son enfance) qui vivent encore à l’heure des rites et des légendes. On y croise bien sûr quelques vendeuses de chipas, ces galettes de farine de maïs ou de manioc, mais le reste de la société villageoise présente un visage moins avenant : autour des femmes ayant un mari à aller voir en prison, ou un enfant à soigner, gravitent de pauvres gens, jetés par le malheur dans les bras de la superstition, des êtres humains n’ayant plus que la peau sur les os, des formes squelettiques semblables à des « fantoches de terre cuite ». On y trouve même quelques lépreux. Tous mutilés ? Qu’à cela ne tienne : « Une jambe ou un bras en moins n’empêche pas de rester dans la danse », quand bien même cette danse ferait alterner guerres et révolutions. Ces déchets humains ont en commun d’être « des morceaux de la même terre natale » et d’appartenir à ce pays « de la terre sans hommes et des hommes sans terre ». Un pays qui souffre, et qui n’en finit pas de panser ses blessures.
Ce que l’on prenait au départ pour une succession de tableautins devient peu à peu un roman bien en chair, dans lequel chacun tente de lutter, avec ses propres armes (toujours trop rudimentaires) contre les multiples visages de l’oppression. On passe ainsi d’une évasion réussie par un couple et leur bébé (ils se trouvaient parqués dans une plantation de maté, autrement dit un de ces nombreux camps de travail où les propriétaires disposaient de la vie de leurs employés) à une insurrection paysanne, puis à la guerre du Chaco, qui va achever de ruiner ces terres et ces hommes grillés par le soleil, car la guerre à peine finie, on refusera aux anciens combattants, pour la plupart mutilés, le simple droit au travail.
Dans ce roman où l’on meurt par milliers, le plus souvent en toute humilité, et où, pour se venger, on n’hésite ni à émasculer ni à égorger, on s’attache très vite à ces miséreux qui se battent au nom d’un idéal, et qui savent « vouloir quelque chose au point d’en oublier tout le reste ». Par empathie tout d’abord. Mais plus encore parce que leur courage et leur sens de l’honneur forcent l’admiration.
Comment se peut-il que l’on soit séduit par un roman aussi sombre ? aussi désespéré ? C’est qu’Augusto Roa Bastos y dénonce, sans véritable coup de gueule, mais sans un seul mot d’espoir, la cruauté et l’horreur qui ont laminé son pays (une telle franchise lui valut quarante-deux ans d’exil). Mais la diversité narrative des chapitres y est pour beaucoup : les plus enlevés, qui développent des épisodes de rébellion ou de guerre, parviennent à tenir le lecteur en haleine sur une trentaine de pages ; les plus lents, comme le chapitre 7, constitué des seules notes d’un militaire durant sa réclusion dans un pénitencier, travaillent dans le détail ce que les autres, requis par le seul déroulement de l’intrigue, ont été contraints de passer sous silence. On progresse ainsi de pages trépidantes et viriles à des pauses narratives bienvenues. Et s’il reste difficile, au terme d’une première lecture, de rétablir l’ordre chronologique des chapitres (surtout pour se faire une idée plus juste de l’ensemble), après tout peu importe : « Les choses commencent toujours très loin en arrière, et personne ne sait véritablement quand elles commencent, et encore moins (…) quand elles finissent ». Tout juste croit-on savoir que tout a commencé lorsque des hérétiques ont placé un Christ lépreux au sommet d’une butte. Sans lui, le destin de ces hommes en aurait-il été changé ? C’est peu probable. La machine à tuer était déjà en marche. Ils furent les victimes d’hommes avides de pouvoir et d’argent, capables d’actions abjectes pour asservir les plus démunis. Des hommes souvent bien en chair, contrairement à ceux qu’ils exterminaient avec une folie qui dépasse l’entendement (il ne leur était pas rare d’attacher un Indien désobéissant à un poteau et le l’abandonner au milieu d’une fourmilière), mais dont le comportement rappelle celui de l’animal.

Fils d’homme
Augusto Roa Bastos
Traduit de l’espagnol (Paraguay)
par François Maspero
Seuil
372 pages, 22,80

Un siècle de sang Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°86 , septembre 2007.
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