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Essais Nouvelles coordonnées littéraires

novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88 | par Sophie Deltin

Dans un essai rigoureusement mené, Bertrand Westphal explore la géocritique, une méthodologie qui réinterroge les relations des représentations littéraires de l’espace et du réel.

Longtemps la littérature aurait accordé à la notion de temporalité une préséance sur son corollaire naturel : la spatialité - celle-ci bien souvent réduite à la fonction de « contenant », où pouvait se mettre en scène le temps dont la progression était pratiquement synonyme de progrès. Telle est du moins la thèse qui sert de point de départ à la réflexion de Bertrand Westphal, professeur de littérature comparée à l’Université de Limoges : seule une démarche « géocritique » - un néologisme pour désigner ce qui serait comme une géographie littéraire et dont son analyse prend ici soin d’expliciter l’ampleur et la portée - peut alors selon lui rendre justice au rôle et à la fonction du lieu et de la spatialité dans le processus d’écriture moderne.
À l’origine de cette intuition, se tient le constat de l’éclatement des repères du plan de notre existence depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la faveur de laquelle la perception de l’espace s’est trouvée revalorisée et dans le même temps compliquée - la décolonisation ayant de surcroît contribué à la fragmentation et à la démultiplication des regards sur le monde. Les œuvres de nombreux romanciers, d’Alain Robbe-Grillet à Georges Perec ou Jean Echenoz, n’ont-elles pas témoigné, en brisant la linéarité du récit au profit d’un espace segmenté ou épars, de cette « crise des dimensions du monde » ? Assumer la mobilité extrême de l’espace, dans son aspect hétérogène, fuyant, « multifocal », et ce malgré la tendance à son unification - un effet soi-disant irrésistible de la mondialisation, tel serait le geste à même de définir au mieux l’ambition géocritique. Dans ce contexte d’un réel affaibli, ouvert et « flottant », propre à l’ère postmoderne, où les espaces ont perdu tout ancrage au point de devenir « navicules », qu’en est-il donc de la représentation fictionnelle de l’espace mais surtout de son retour c’est-à-dire de son impact, voire son « emprise » sur cette réalité ? C’est précisément l’une des originalités de la géocritique que de prendre pour objet « non pas l’examen des représentations de l’espace en littérature, mais plutôt celui des interactions entre espaces humains et littérature ». Cela revient alors à supposer qu’entre le monde représenté en littérature - le quartier, la rue, la ville… - et celui de référence qui lui est extérieur, il n’y a point de coupure nette mais une communication à « l’interface » de laquelle l’entreprise géocritique se place, pour en dégager et sonder le degré d’interconnexion. « Qui du texte ou du lieu… fait l’autre ? » en vient même à se demander dans une formule limpide Bertrand Westphal, soucieux de pousser jusqu’au bout la dynamique qui nous ferait « passer de la spatialité du texte à la lisibilité des lieux ». Pour peu que l’on adopte cette conversion du regard, « l’optique géocritique » pourrait ainsi s’avérer indispensable à tous ceux à qui il reste encore à démontrer que la littérature est capable d’agir sur le réel.
Sans doute fallait-il en passer par un rappel méticuleux des bases épistémologiques et poétiques relatives à la représentation de l’espace dans les différents arts mimétiques du réel, pour être à même d’apprécier l’apport spécifique de cette nouvelle méthode critique. D’où l’aspect érudit, exigeant car souvent « technique » de nombreux arguments développés par l’auteur qui reexplore pour nous des schèmes, des notions, tels que la référentialité et la transgressivité, le strié et le lisse, le pli, l’archipel ou encore d’autres concepts chers à Deleuze et Guattari, comme le territoire, la déterritorialisation et la reterritorialisation. Dans cette exposition à multiples entrées, il est parfois difficile de maintenir le fil, mais au moins peut-on mentionner deux axes particulièrement intéressants : la stratigraphie, soit le fait que l’espace est toujours un « feuilleté » de strates temporelles qui le fondent et l’ouvrent sur plusieurs durées, ou encore l’intertextualité qui nous fait déambuler dans un lieu tissé de textes : n’est-ce pas ce qui fait naître le mythe d’une ville quand celle-ci est « coulée dans un discours qui tient lieu de matérialité, qui tient lieu, qui fait le lieu » ? Quitte parfois à ce que les écrivains eux-mêmes deviennent les véritables « auteurs » de leur ville (Joyce-Dublin, Svevo-Trieste, Pessoa-Lisbonne…).
Le résultat de cette réflexion complexe, sérieuse et précise, est aussi un propos très vivant, fourmillant de références, d’anecdotes et d’échappées dans les textes littéraires et les autres disciplines. Ce n’est d’ailleurs pas réduire le mérite de la géocritique que de saluer son site, à la croisée des spécialités et des approches qu’elle parvient à fédérer : en s’aventurant du côté de la géographie (Edward Soja), de l’urbanisme (Kevin Lynch), du cinéma (Wim Wenders, Alain Tanner, Lars von Trier…), mais aussi de la philosophie (Bertrand Russell, Michel Serres…), de la théorie littéraire (Barthes, Thomas Pavel, Ricœur, Eco…) de l’histoire (François Hartog) ou de la sociologie (Baudrillard, Henri Lefebvre…), elle n’en tire pas moins sa légitimité et sa fécondité en ce qu’elle prend avant tout et invariablement, appui sur le texte littéraire.

La Géocritique
Réel, fiction, espace
Bertrand Westphal
Éditions de Minuit,
« Paradoxe »
304 pages, 20

Nouvelles coordonnées littéraires Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°88 , novembre 2007.
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