En 1907 disparaissait à Paris Mécislas Golberg, homme de lettres célibataire, âgé de 37 ans et deux mois, ou à peu près. Son état-civil ne fut jamais des mieux établis, et s’il ne restait de lui une poignée de livres admirables, on n’entendrait plus parler de Mécislas Golberg, qui signa occasionnellement dans la petite presse Louis Stiti aîné. Héritier de l’innombrable et ancienne lignée des bohèmes célébrée au début du XIXe siècle par Henry Murger, il connut toutes les affres de cet état aussi précaire qu’étourdissant.
Né le 21 octobre 1868 à Plock, en Pologne, d’un couple de commerçants aisés, il est expulsé du collège de sa ville natale et poursuit seul sa découverte des lettres classiques, de Shakespeare et des romantiques avant de se rendre en 1899 à Genève où il étudie avec la littérature, la philosophie et les sciences naturelles avec Édouard Rod, Gour, Karl Vogt et Jung. Licence ès sciences sociales en poche, il se rend à Paris en décembre 1891 avec cinq francs en poche. On le retrouve un an plus tard, cadavérique et ravagé par le scorbut, à l’hôpital Lariboisière où l’a conduit une tentative de suicide par le poison. À sa sortie, il fait la connaissance du poète Emmanuel Signoret et reprend le fil de ses études abandonnées à la faculté de médecine. En 1894, il participe à la fondation du Courrier social avec André Ibels et Fernand Clerget et lance, l’année suivante Sur le trimard, où il défend le lumpenproletariat, ainsi que des thèses audacieuses - et notamment celle d’un anarchisme féministe - et collabore à la toute jeune Revue internationale de sociologie.
Mécislas Golberg est dès lors jeté à corps perdu dans la bataille sociale et rejoint les cercles avancés de la culture. Collaborateur du Mercure de France, dont Remy de Gourmont est la figure majeure, il va devenir le principal penseur de l’anarchie de la dernière décennie du siècle au point d’être régulièrement inquiété par le ministère de l’Intérieur pour sa participation, jugée indésirable, à la vie politique française. En 1897, réfugié à Londres, il vit misérablement du commerce ambulant de café avant de rentrer en décembre, muni d’un permis de séjour qui lui interdit toute participation à l’agitation. « Condamné » à se consacrer à la philosophie et à la littérature, lorsque les arrêtés d’expulsion et ses retours clandestins ne l’envoient pas croupir au dépôt.
Ses articles et chroniques, ses volumes lui valent l’admiration et l’amitié des artistes et écrivains les plus éminents. Antoine Bourdelle fait son buste, Camille Claudel, André Gide, Max Jacob et Henri Matisse sont ses amis… De lui, Apollinaire écrira qu’il est « l’étrange, le laid, le curieux méphitique, diabolique, mais léger, léger, et c’est ce qui le sauve… » On s’en convaincra en lisant les nouvelles et poèmes de Vers l’amour (Albert Wolff, 1899), Lazare le ressuscité, plainte en douze épisodes (Albert Wolff, 1901), Prométhée repentant, tragédie en trois actes (La Plume, 1904), Fleurs et cendres, impressions d’Italie (La Revue littéraire, 1906) et surtout les Lettres à Alexis, histoire sentimentale d’une pensée (La Plume, 1904), réédité pour qu’on en juge par les éditions Champ Vallon.
Mécislas Golberg tient alors une imprimerie sur l’avenue des Gobelins. Tant bien que mal, et plutôt mal que bien. Son œuvre intéresse l’intelligentsia qui se mobilise pour le défendre. Le comité Golberg, présidé par Paul Adam et composé d’Henri de Groux, d’Anatole de Monzie ou Maurice Magre, lui permet de publier les deux premières livraisons des Cahiers mensuels Mécislas Golberg en novembre et décembre 1900. L’époque paraît moins calamiteuse pour l’écrivain qui collabore à La Plume, publication prestigieuse, ou à la Revue littéraire de Paris et de Champagne.
Mais le critique littéraire et artistique, le penseur Golberg n’en finit pas avec les ennuis. En 1902, après avoir repris une énième fois son inscription à la faculté de médecine, il soigne sa tuberculose à l’hôpital de la Pitié et sera contraint de faire un premier séjour au sanatorium d’Avon trois ans plus tard, puis un second en 1906. Malheureusement ses jours sont comptés. Après avoir publié deux nouveaux numéros des Cahiers Mécislas Golberg, le philosophe des inclassables et des miséreux s’éteint le 28 décembre 1907 à Fontainebleau.
Quelques mois après sa mort, paraîtra encore l’un de ses plus beaux livres, largement illustré par son ami André Rouveyre, La Morale des lignes, dans une rare coédition Léon Vanier-Albert Messein. Mais le destin qui n’avait pas été tendre s’acharna encore : quinze ans après sa mort son fils naturel, Jacques Mécislas Charrier, que sa mère avait abandonné à ses seuls soins, fut condamné à mort et guillotiné le 2 août 1922 pour avoir fait le guet lors de l’attaque du train Paris-Nice (25 juillet 1921). Dernier anarchiste exécuté en France, on raconte qu’il quitta sa cellule en chantant L’Internationale et La Carmagnole.
Égarés, oubliés Golberg la guigne
novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88
| par
Éric Dussert
Intellectuel fin-de-siècle, Mécislas Golberg incarna dans la pauvreté la pensée divergente. Comparable un peu à Remy de Gourmont, il n’en eut jamais l’audience.
Un auteur
Golberg la guigne
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°88
, novembre 2007.