Une petite fille traverse les Corbières accompagnée de son oncle pianiste pour trouver refuge dans la vaste bâtisse d’une exploitation agricole menée par un anarchiste catalan. Elle y est accueillie par un groupe d’enfants réfugiés parmi lesquels elle reconnaît Jacques. Avec lui, l’été finissant revêt des allures de robinsonnades. Le parc qui jouxte la propriété est vaste, parsemé de territoires transformés en corne d’abondance. « Dans la situation de générale pénurie de l’an 1942, trois mois avant l’occupation de la « zone libre » par la Wehrmacht », les raisins, les figues, les pignons de pins sont une manne. Tout autant que la liberté dont ils profitent, les adultes trop accaparés par des affaires obscures pour les retenir. Le délice de Parc sauvage vient de là : cette jouissance de l’espace, des mouvements libres en une nature prolifique et ludique, découvertes de soi, des autres, de la littérature traînant sur les étagères, et jeux de langue (les chapitres se closent sur une courte invitation oulipienne), qui éveillent chez le lecteur autant de souvenirs de sa propre enfance - ou rêvée. La canne Bacadette et ses stratégies pour planquer ses œufs (sept de ses enfants ont déjà été mangés, mais bien regrettés), le chien Dick, toujours dans les jambes des uns et des autres, sont autant de contreforts d’innocence face au danger qui se profile derrière les ruines abritant leurs escapades. Et de relais pour une initiation qui préserve l’essentiel, la clarté de la mémoire. Car il ne s’agit pas d’un paradis perdu aux accents idéalistes, mais bien du parcours de l’enfance, franchissant les seuils interdits pour gagner la fierté « d’avoir osé » pisser « debout sur les fourmis, comme Gulliver » quand on s’appelle Dora et que l’on a 8 ans, ou s’autoriser un trouble plus puissant devant le mystère de la gémellité que devant celui de l’érotisme adulte.
Puisant dans ses propres souvenirs, Jacques Roubaud a construit ici un roman aussi doux que sa tendresse pour la terre de ses ancêtres. En fidélité, il restitue la texture de ses « friandises les plus bouleversantes », telle cette assiette de miel blanc dans laquelle nagent des pignons frais. Havre de temps qui s’étire dans la mémoire de l’auteur comme du lecteur une fois le livre refermé. Moments trésors.
Parc sauvage de Jacques Roubaud, Seuil. 135 pages, 14 €
Dossier
Jacques Roubaud
“ La rare bienveillance du monde “
février 2008 | Le Matricule des Anges n°90
| par
Lucie Clair
Parc sauvage ou la lumière diffractée d’un dernier été d’enfance, avant que la dureté du monde ne s’en mêle.
Un auteur
Un livre
Un dossier