Comment être en ce monde tout en n’y étant pas ? Que devient la vie quand on n’a plus, pour raison d’être, que celle d’être sans raison ? C’est à ces questions, qu’en pétrisseur hilare de levure de mort, Sami Sahli (dont c’est le premier livre) donne corps, sinon réponses, dans Cent grammes de suicide. Avec l’application la plus calme, un « Je » y dit, non sans désinvolture, son allergie au monde et le bizarre sentiment d’étrangeté qu’elle entraîne. « La rue soudain n’est plus une rue mais un sillon, une blessure, le bistrot dans lequel je viens d’entrer : un vagin… et l’ami qui me fait face n’est plus mon ami mais une créature indéchiffrable : un chiffre, une fable ». En quarante-trois courtes séquences, c’est l’ivre délit du refus d’être qui est ainsi décliné. Car l’ivresse ici, est reine - celle qui met en marge, anesthésie, estompe les différences, autorise toutes les métamorphoses. « Son ventre est un bar/ Et chaque verre bu un ventre dans ce ventre… » Une façon de se détacher avec détachement, de se retirer du réel en le pénétrant plus profondément.
D’insolites transferts en transfusions insondables, Sami Sahli nous conduit là où l’on se retrouve, lorsqu’en plein jour on s’enfonce dans l’obscurité. Parti-pris de la chute, univers où le vertige devient unique point de repère, sentiment de « vie liquide », d’un déprimé « ressentant au fond de cette déprime : une vitalité atroce ». De dissonances en paradoxes, d’osmoses en paroxysmes, ce « Je « » malheureux au point d’en devenir érotique », manie une ironie qui ruine toute foi et tout confort. Entre humour hautain et souffrance viscérale, Sami Sahli impose sa voix. Avec des mots à double tranchant, qu’il manie et apparie de façon à réveiller leurs sens endormis, il joue du mourir (et du rire mou ?) en assumant, avec une audace tranquille, ce qui ressemble à un petit traité de pessimisme ironique.
Cent grammes de suicide de Sami Sahli
L’Arpenteur, 88 pages, 12 €
Poésie Ébriété métaphysique
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Richard Blin
Un livre
Ébriété métaphysique
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.