En introduction, John Burnside consigne ce dicton. « Mieux vaut le diable qu’on connaît que celui qu’on ne connaît pas. » Certes, cette formule passe inaperçue. D’ailleurs c’est un des talents de l’auteur écossais que de cacher, d’opacifier, d’inonder de détails ou de révéler par toutes petites touches. Laissant ainsi le lecteur progresser tranquillement dans l’histoire, ce dernier arrive même à sourire lorsque Michael, le narrateur évoque le temps jadis, quand par une nuit d’hiver, un curieux voyageur traversa ce petit village de pêcheurs, Coldhaven, sur la côte est de l’Écosse en laissant dans la neige des empreintes… fourchues. Agréables sornettes, fariboles d’un autre âge.
Michael a toujours vécu dans le port où ses parents, artistes-photographes, s’étaient installés, rompant avec une vie trépidante. Michael, a contrario de son épouse, ne travaille pas, vit de son héritage. Il raconte par bribes sa vie somme toute banale. Mrs K qui fait le ménage de la maison, l’informe de tous les potins du village. Bon an, mal an, tout aurait pu continuer ainsi. Jusqu’à ce qu’un sordide et effroyable fait divers n’endeuille la région. Moira, persécutée par un mari violent, s’immole avec ses deux jeunes enfants. Seule, sa fille aînée Hazel échappe au massacre. Moira ayant été le premier flirt de Michael, Hazel pourrait être sa propre fille. Des morceaux de puzzle se mettent en place, les allers et retours dans le temps s’accélèrent, dévoilant alors un passé de plus en plus sombre, la vie du narrateur et de ses parents prenant des allures d’enfer. Mise au ban de la communauté, souffrant d’insultes et de provocations répétées, la famille se construira une bulle. Michael deviendra le souffre-douleur de ses camarades. Il finira par tuer un de ses tortionnaires. Quant à sa mère, elle perdra la vie (accident, assassinat ?) dans un accident de la circulation provoqué par l’ivrogne du village. Pour progresser dans l’histoire, le lecteur semble manipuler un de ces cubes dits magiques dont il faut agencer les multiples facettes pour obtenir des images, voire des couleurs uniformes. Les facettes laissant filtrer toujours plus d’effroyable, de monstrueux dans les comportements dits humains.
Un jour, Michaël enlève Hazel, transformant l’histoire en road movie et thriller inquiétant. Michael connaîtra-t-il la paix, la fin de sa culpabilité, voire la rédemption ? Peut-être, et ce au prix d’une longue errance dans le monde réel et dans la folie. Le diable laissera à nouveau ses empreintes en travers du village. Mais était-ce vraiment le diable ? John Burnside écrit comme on filme, décrit l’anecdotique, insiste sur les détails, se décentrant au maximum, puis d’un coup prend le sujet à bras le corps, zoomant sur ce dernier, qu’il finit par engluer de panoramiques et autres travellings jusqu’à provoquer l’étourdissement, le malaise. Le travail sur la lumière, ses aspects crépusculaires, ses effets sur les paysages, les intérieurs, les âmes est saisissant. « Ce fut ma mère qui m’apprit à regarder. Certains jours, elle se déplaçait dans la maison en essayant de ne pas voir les choses en tant que telles - meubles, massifs du jardin, manteaux accrochés dans le vestibule - de façon à mieux percevoir les ombres. C’était pour elle un jeu, mais sérieux quand même, car l’ombre était ce sur quoi elle travaillait : ombre et lumière, complémentaires plus qu’opposées. » John Burnside n’écrit pas des histoires pour faire peur, il nous prend seulement par la main pour partager un traumatisme qui est à la fois celui de vivre et celui d’écrire.
Les Empreintes
du diable
John Burnside
Traduit de l’écossais par Catherine
Richard
Métailié
218 pages, 18 €
Domaine étranger Enfer et damnation
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Dominique Aussenac
Dans son troisième roman, l’Écossais John Burnside décrit une chute dans la solitude, l’adversité, la folie. Oppressante, mais terriblement belle.
Un livre
Enfer et damnation
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.