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Histoire littéraire L’étoffe Carlyle

juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95 | par Etienne Leterrier-Grimal

Réédition de l’inclassable Sartor Resartus, fiction érudite et satirique, publiée en 1833, par un Écossais jugé « infréquentable ».

Sartor Resartus

Je ne connais pas de livre plus hardi et volcanique, plus pétri de désespoir, que le Sartor Resartus », déclarait Borges au sujet de l’ouvrage de Thomas Carlyle nouvellement publié et traduit par les éditions José Corti après Aubier, en 1973. Un tel éloge, assorti de cet usage si spécifique de l’article défini devant le titre habituellement réservé aux chefs-d’œuvre (« Le » Quichotte, « La » Recherche…) a de quoi susciter une curiosité immédiate.
De fait, Sartor Resartus est un texte hautement atypique. Il raconte de façon décousue la biographie de Diogenes Teufelsdröck (« Diogène Crotte-de-Diable »), génial inventeur, selon Carlyle, d’une Philosophie des habits. Lequel traité, parfaitement fictif, s’avère rapidement être en réalité un spicilège complexe fabriqué à partir de lettres, notes, journaux, découverts et ensuite publiés par un éditeur… naturellement tout aussi fictif.
Sartor Resartus est donc un livre qui parle d’un autre livre, le commentaire touffu d’un ouvrage qui n’existe pas. En cela il dresse aussi, notamment dans sa seconde partie, le portrait de son auteur Teufelsdröck, sorte de savant mystique mâtiné de ce que Carlyle appelle un « sans culotte ». Mais la parenté des auteurs et des livres est rapidement assumée, comme lorsque Carlyle évoque le style de Teufeldröck, en des termes qui s’appliquent en premier lieu à lui-même : « Il est extraordinaire parfois quand il tranche avec des mots irrévocables nos confusions (…) d’un autre côté, admettons librement qu’il est l’écrivain le plus inégal qui soit. Après un exploit de cette nature, il fait souvent l’école buissonnière pendant de longues pages, il musarde et rêvasse, bredouille et bégaye les lieux communs les plus triviaux, comme s’il dormait les yeux grands ouverts, ce qui est bien le cas ».
Entrecoupant son texte de larges citations, Carlyle semble progresser au hasard, et avoue « un manque presque total de structure » qui souvent déstabilise la lecture. Ses divagations mêlent à la biographie de leur l’auteur l’exposé de cette « philosophie des habits », qui part des origines de l’humanité, s’apparentant à la fois à une histoire pittoresque du costume et à un traité de phénoménologie vestimentaire. « Les habits nous façonnent et nous accablent, voilà qui me remplit d’une certaine horreur pour moi-même et pour l’espèce humaine ; un peu comme ce qu’on éprouve pour ces Vaches Hollandaises que l’on peut voir pendant la saison des pluies, paître voluptueusement avec des couvertures et des combinaisons (faites de toile à sac) dans les prairies du Gouda ». Sartor Resartus est un traité de philosophie burlesque où l’habit apparaît, dans son incroyable diversité, comme ce qui incarne l’esprit dans la matière, sur le mode de l’apparence.
Semblable à un autoportrait fictif, Sartor Resartus frappe par ses faux-semblants et sa désinvolture. La langue s’y pastiche elle-même dans ses prétentions savantes multipliant les références érudites qu’elle dénonce aussitôt. À la fois auteur du dix-huitième siècle et du siècle romantique, Carlyle a emprunté l’esprit satirique des romans du premier (notamment de Sterne) pour atteindre l’idéalisme du second, sa volonté de saisir l’essence des choses par la spéculation.
En France, Thomas Carlyle est resté pendant longtemps presque totalement inconnu, et sort aujourd’hui peu à peu de l’anonymat. L’excellente présentation de Maxime Berrée donne les causes de cet oubli et offre un aperçu passionnant sur la biographie et les autres écrits de cet auteur « infréquentable » par ses prises de positions historiques réactionnaires, et l’idéologie développée dans ses écrits politiques, fondée sur la croyance en l’apparition de héros guidant les masses… Outre cela, Sartor Resartus séduit pourtant par ses paradoxes et son projet insensé : texte incompréhensible pour l’époque et qui le reste encore aujourd’hui, fascinant pas son absolue singularité.

Sartor Resartus
Thomas Carlyle
Traduit de l’anglais par Maxime Berrée
José Corti, 320 pages, 21

L’étoffe Carlyle Par Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°95 , juillet 2008.
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