Un livre

Vilains moutons

de Katja Lange-Müller

Editions Laurence Teper éditions

Sur fond de rumeur urbaine des années 80, tout gravite autour de Soja, une Berlinoise de l’Est passée à l’Ouest, qui survit grâce à de petits boulots. Un peu paumée, « vilain mouton » d’une société qu’elle a fuie, c’est dans la rue qu’elle fait la rencontre inopinée de Harry, un autre marginal et « junkie » à peine sorti de prison (« la prison réelle, (pas) celle qu’on n’avait… juste baptisée RDA »). Plus qu’une passion dévorante c’est une abnégation sans borne qu’elle va très vite lui vouer pour tenter de le sauver malgré lui. Une thérapie de groupe est censée le guérir de son « élixir de vie » mais la découverte que Harry est atteint du sida n’en confirmera que davantage son issue évidemment prévisible.
Triste, glauque parfois, sans pour autant sombrer dans la facilité d’une litanie de plaintes, le récit de la narratrice se lit comme une longue lettre adressée à l’aimé, et tente de recomposer la trame de ce que fut leur relation à partir de ses propres souvenirs et de ceux consignés dans le cahier intime de Harry dont elle a hérité à sa mort et qui étrangement ne la mentionne à aucun moment : l’a-t-il jamais aimée ? Dans une langue qui refuse toute prétention au beau style, Soja trouve le ton nécessaire pour exprimer les émotions aiguës dont elle aura été le théâtre. Ce qui n’empêche pas son récit de verser dans des motifs attendus et d’être desservi çà et là par un certain manque de dynamisme. Si bien que de cette histoire d’amour qui se déroule au cœur des dernières années avant la réunification, on retiendra plutôt l’observation par la narratrice, née « de l’autre côté » comme l’auteur, d’une ville au bord du gouffre, autre corps moribond à la défense immunitaire défaillante. Bientôt le peuple de RDA forcera le mur, et il faudra bien accepter la faillite inéluctable d’un système en bout de course.

vilains moutons
de katja lange-mÛlleR
Traduit de l’allemand par Barbara Fontaine, Éditions Laurence Teper, 240 pages, 19,50 €