Au gré de reproductions pleine page qu’accompagnent les commentaires de l’auteur, Le Livre des livres pour enfants fait défiler plus de 80 ouvrages, parus entre 1808 à 1969. Derrière ces dates, un âge vraiment doré : le règne de Victoria, où parut par exemple l’idéalement aseptisé Petit Lord Fauntleroy, et ce n’est pas un hasard, car la production destinée à la jeunesse affectionne les époques d’édification. De Petit Garçon malpropre à Mademoiselle Touche-à-tout, que d’indolences seront dépeintes ! « Marie promit bien se corriger et de n’être plus jamais Marie-sans-soin », « Il y avait une fois, à ce que dit l’histoire, un petit garçon nommé André, qui n’avait jamais les mains complètement propres, ni la figure non plus. Ceci soit dit à son éternelle confusion »… Éternelle, en effet : hier le lavabo, aujourd’hui l’alimentation équilibrée, le Garnement vogue décidément d’hygiène en hygiène.
Bien sûr, Victoria vit naître aussi Alice et son inquiétant désordre. On pourra ici s’amuser à suivre ces deux fils, souvent entremêlés, de l’éducation et la récréation. Ou encore vérifier que les incestes entre « littérature jeunesse » et « grande litttérature » ne datent pas d’hier : voir Alexandre Dumas, Rudyard Kipling ou encore Patapouf et Filifers (texte d’André Maurois, dessins de Vercors). À feuilleter Le Livre… apparaissent encore les liens qui rapprochent l’album d’autres formes artistiques : il y a l’influence des courants picturaux (naïfs ou réalistes) et la préhistoire de la bande dessinée (« ligne claire », découpage en strips), mais aussi quelques accointances avec les formes religieuses - voir, sur nos fringantes étagères, les aquarelles de la sainte-nitouche Martine qui possèdent « l’onctuosité et la mièvrerie étudiée » des images pieuses. Autre promenade possible : arpenter une (petite) histoire sociale de l’édition. Pierre-Jules Hetzel surplomba son 19e siècle, publiant Hugo ou Balzac en même temps qu’il enchantait la bourgeoisie parisienne avec les fastueuses illustrations de Gustave Doré ; au 20e, ce sont les USA qui s’attirent les premiers de plus larges audiences avec les albums petit format, avant que les années soixante viennent draguer les parents éclairés, à coup de sobres mises en page.
Bref : la souplesse du dispositif, qui ne s’astreint pas même à une chronologie rigoureuse, permet diverses lectures. François Rivière fait un peu comme ça lui chante, saupoudrant quelques éléments contextuels par ci, un peu de la biographie d’un auteur par là, une citation ailleurs, etc. Il n’appuie jamais, et semble toujours veiller à cette élégance anachronique mais point inoffensive qui a fait le sel des bandes dessinées parues sous son nom : ainsi lorsqu’il évoque Benjamin Rabier, créateur du canard Gédeon mais aussi immortel papa de la Vache qui rit, « sorte de Joconde laitière dont les boucles d’oreilles concrétisent la mise en abyme chère à André Gide ».
Le Livre des livres pour enfants de François Rivière, Éditions du Chêne, 224 pages, 39,90 €
Textes & images Les mains propres
novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98
| par
Gilles Magniont
Un kaléidoscope conçu par François Rivière, pour attraper une subtile indigestion d’orphelines, bons patauds et petits lapins.
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Les mains propres
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°98
, novembre 2008.