Un homme, professeur de français à Orteuil, a été confronté à l’impondérable. Deux événements ont littéralement chamboulé son quotidien et revivifié des plaies mal couturées. Seul face à l’écran de son ordinateur, il combine des mots dans le but d’« exorciser par l’écriture le vide d’une disparition », d’éclairer l’enchevêtrement de choses qui, fussent-elles insignifiantes, révèlent les « contradictions dans lesquelles on s’est longtemps tenu ». Une correspondance souterraine relie-t-elle chaque expérience nouvelle à ce qui a été vécu, entendu ? Que peuvent avoir en commun la mort d’une ex-amante « mendiante et avinée », la guerre d’Espagne, Joëlle Aubron, la résistance palestinienne, la cité, George Orwell et Lou Reed ?
Une parenthèse espagnole, par un jeu savant d’échos et d’affinités littéraires, distend les muscles par trop ankylosés de la mémoire. La nôtre, puis celle d’un homme las, endeuillé, mis en abyme : son narrateur. D’un souvenir l’autre, ce dernier - de ceux qui ont « jeté quelques pierres, fumé quelques pétards. Nés trop tard, petits frères des Enragés de 68 » - compose une toile où dates, créateurs et créatures se télescopent. Il y dépeint la dernière apparition de l’Eurasienne Luz, « digne héroïne de Duras » perdue dans le rouge ardent d’un canapé, avant sa mort, ainsi qu’une échappée au pays de Cervantes, en compagnie de son père, réfugié espagnol, et ses deux filles, etc.
« Si j’étais fou, je laisserais mes morts me parler » aurait pu être l’intitulé d’une gravure de Goya. Cette phrase que le narrateur d’Une parenthèse espagnole se répète, il la déplie comme malgré lui. Et Sylvie Gracia, pour qui écrire est une « entreprise de dégrisement », nous livre là un texte truffé de portraits « prégnants, comme peuvent l’être certains rêves aux empreintes tenaces. »
Comparé à vos premiers récits, brefs et fragmentaires, Une parenthèse espagnole offre un tissu narratif plus resserré, dense, classique même. Quel était l’enjeu formel ?
Oui, là, j’ai eu le sentiment de m’engager dans un travail sur un plus long terme. Et cela a bien eu lieu, puisque ce roman m’a pris entre 3 et 4 ans de travail. Pour les deux premiers, il y avait la difficulté de me dire écrivain, notamment pour L’Été du chien (L’Arpenteur, 1996). Je me sentais seulement capable d’écrire quelques lignes à la suite. Le plus long fragment doit faire une page maximum. Pour Les Nuits d’Hitachi (L’Arpenteur, 2000), un premier texte est tombé que je n’attendais pas. Et cette forme décousue, ça m’a paru une forme très excitante pour raconter des morceaux de vie. Dans Une parenthèse espagnole, je me suis dit pour la première fois que j’allais me laisser prendre au jeu romanesque, avoir une écriture plus lente, plus narrative.
« Ce qui m’intéresse, c’est le fait de nouer ensemble destins publics et destins anonymes. »
Le narrateur, justement, est un homme qui, approchant la cinquantaine, voit son quotidien se lézarder....
Entretiens Papier de sang mêlé
janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99
| par
Jérôme Goude
Romancière et éditrice (au Rouergue), Sylvie Gracia repousse les lignes imaginaires d’une mémoire composite au fil d’Une parenthèse espagnole grave mais enchanteresse.
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