Gloire à Don Salvarez Lutteroth Gonzalez. En 1933, cet homme d’affaires recrute des lutteurs natifs d’Europe et d’Amérique afin d’organiser en terre mexicaine combats et tournées. Ainsi naît la « lucha libre », qui se forge des règles propres - 3 rounds sans limite de temps, des matchs par équipe. Et surtout un style : plus aérien qu’aux États-Unis, plus mélangé qu’en Europe (travestis et nains viendront bientôt enrichir le programme), et plus mythologique que partout ailleurs. Dans l’arène, se joue et se déjoue sans cesse le terrible affrontement entre les técnicos, du côté des humbles et de la vertu, et les rudos, lesquels ne connaissent aucune règle. Le catch donne ainsi naissance à de véritables divinités, qui s’échappent du ring pour peupler la vie des Mexicains. C’est notamment le cas du vénéré El Santo, phénomène sociologique en même temps qu’icône du cinéma populaire (il y combat les profanateurs de tombes comme la fille de Frankenstein) : pour lui et son masque d’argent, 48 ans de carrière, 15 000 combats, un enterrement suivi par 10 000 personnes.
Los Tigres del ring raconte cette mythologie moderne en même temps qu’il expose les mille et une formes d’une culture flamboyante. Au rythme d’une maquette ingénieuse mais toujours lisible, le livre fait tourner un magnifique kaléidoscope : il y a l’inventivité typographique des affiches où s’annoncent les combats, il y a les couvertures surréalistes des romans photos où les lutteurs vivent leurs aventures parallèles, il y a le baroque d’une peinture votive où un catcheur invoque la Vierge de Guadeloupe, et, vendus sur les étals de marché, ces jouets « entre la figurine pourrie et le fétiche vaudou »… Au centre de cette constellation, bien sûr, le masque : c’est par lui qu’El Santo, Blue Demon ou El Huracan Ramirez se hissent jusqu’à la fiction et la transcendance, par cet attribut qui tient du super-héros (comme lui, le catcheur se condamne à l’anonymat), tout autant que de la tradition aztèque - pas de religion plus syncrétique que celle de la lucha libre.
Brillamment mises en pages, ces dévotions pourraient échouer ici dénaturées : on apprécie alors que Jimmy Pantera, graphiste bruxellois au rutilant pseudonyme, démente toute perspective de second degré. Pas de distance postmoderne ou de maniérisme finaud chez celui qui consacre un dernier chapitre à un reportage photographique dans le Mexico d’aujourd’hui, de sorte que son livre ne s’enferme pas dans le « côté statique de l’inventaire du collectionneur », et qui vient clore Los Tigres del Ring sur une belle mise au point : « C’est une culture où il n’y a aucune limite, où toutes les surprises sont plausibles. On peut penser que c’est kitschissime, mais à Mexico ce mot n’a pas de signification ».
Los Tigres del ring de Jimmy Pantera
Ankama éditions, 212 pages, 24,90 €
* Le catch mexicain est encore à l’honneur d’It came from the moon, bande dessinée de Run et Bicargo qui paraît ces jours-ci : encore aux éditions Ankama, et encore pour un prix très modique (19,90 €) au regard de la générosité et de l’inventivité de l’entreprise.
Textes & images Au premier degré
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Gilles Magniont
Voyage au pays des vierges et des catcheurs masqués, avec Jimmy Pantera comme guide énamouré.
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Au premier degré
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.