Ses livres attestaient d’un vrai talent. Inventifs, dopés aux lexiques du passé comme à ceux de la pharmacopée, ils faisaient s’entrechoquer les images et les mots dans un maelström de vie et de mort, de rire aussi, de moments ludiques parfois. Mais à trop éliminer les articles devant ses mots, à trop strier les phrases rimées d’allitérations insistantes ou de cut-up kalachnikoviens, l’écriture laissait derrière elle une souffrance que l’ironie ne masquait pas. Avec Dans ma maison sous terre Chloé Delaume donne son meilleur livre. La phrase, ici, accepte plus facilement sa beauté racinienne et de nous entraîner au plus profond des gouffres de l’auteur. La douleur s’y affirme plus sereine, moins embarrassée peut-être d’avoir à être montrée. Peut-être parce qu’elle est partagée avec celles des morts que Chloé Delaume vient visiter et qui joignent leur voix pour construire un chœur au chant profond. C’est comme si, pour dire dans sa musique l’essentiel de ce qui l’occupe, un compositeur acousmatique retrouvait le chemin d’une mélodie, de cette musique en quoi, écrit Chloé Delaume, on se transforme en mourrant.
Dans la maison sous terre se passe tout entier dans le cimetière où a été inhumée la mère de Chloé Delaume. Elle n’est pas venue s’y recueillir. Mais écrire un livre de vengeance. Chloé Delaume a publié en 2001 un roman où elle vrille l’idée obsessionnelle de son héritage à elle, la fille du schizophrène qui tua sa mère avant de se donner lui-même la mort. Ce cadavre-là, elle en porte les gènes. C’est ce qu’elle a toujours pensé, aidée en cela par cette famille haïe, celle de Charles, le grand-père maternel dont le corps pourrit sur celui de sa mère, dans le caveau étroit face auquel elle écrit. Celle de sa tante, au « QI de méduse et sa fascination pour le passage de serpillière ». Tous le lui ont répété : elle est bien la fille de son père, aussi folle que lui. Elle l’a cru, jusqu’à la confession, la bouche en cœur, de sa cousine porteuse « d’une bonne nouvelle qui va te faire plaisir » : « ton père n’était pas ton père. » Une « bonne nouvelle » capable de vous envoyer six pieds sous terre : « J’étais la fille d’un assassin et me voilà moins que ça encore. »
Devant la tombe où gît Soazick, sa mère, la fille écrit donc ce livre de haine et de violence. Elle veut tuer, par les mots qu’elle écrit, celle qui s’est trop longtemps tue : au « jeu de cette famille » demander Suzanne la grand-mère et qu’elle comble la dernière place vacante du caveau familial. Mais Chloé n’est pas seule : Théophile chaque jour l’accompagne. Enfant du cimetière, Théophile est la voix de sa conscience : il lui apprend à recueillir les voix des morts enterrés ici. Fermer les yeux, écouter ce qu’ils ont à dire pour, espère-t-il, permettre à Chloé de donner à son livre autre chose que le rôle sanglant qu’elle vise. Ainsi ces voix, celle de Clotilde Mélisse, personnage croisé dans d’autres livres de l’auteur, ou celle de Mlle B « s’engouffre(nt) dans mes...
Dossier
Chloé Delaume
L’adieu à Nathalie D.th
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Thierry Guichard
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