Né le 5 mai 1905 en Hongrie, dans une famille juive, entre un père fêtard et une mère domestique, Léon Schwarz-Abrys ne reçoit aucune éducation. Exilé en France, après avoir exercé les métiers d’ouvrier, de plongeur et de décorateur, ce peintre autodidacte, iconoclaste, impose ses tableaux tapissés de clous au Salon des Indépendants de 1939. Le 30 mars 1943, au moment où la déportation et l’extermination des juifs d’Europe se systématisent, Schwarz-Abrys est admis à Sainte-Anne. Y trouva-t-il refuge ou y fut-il interné pour démence ? À cette question, ni L’Âne ne monte pas au cerisier - premier témoignage publié en 1950 - ni Gentil chapon touche du bois - « roman-fiction » paru en 1951, sauvé de l’oubli grâce à l’audace éditoriale de Cambourakis - ne répondent. Léon Schwarz-Abrys semble bien avoir trouvé, dans le miroitement de l’écriture, un lieu propice à l’effacement des frontières délimitant raison et folie, biographie et délire interprétatif…
Si Gentil chapon touche du bois s’ouvre et se referme sur la description, mi-comique mi cynique, d’une expérience asilaire, le cœur du texte s’attache à dépeindre les tribulations passées d’un original. Son enfance, d’abord, parmi frères et sœurs, « jeunes tziganes parées d’or » et bohémienne au « long chibouk », dans un hameau hongrois. Une vie de pouilleux placée sous l’égide d’un seigneur qui, tout en abusant des services d’un père aviné, prétend pouvoir faire du fils, non un chapon, mais le « plus beau cocher du pays ». Puis sa fuite, suite à un long séjour dans un sanatorium, loin de la misère familiale, de la « phtisie galopante », vers la Capitale, cette « ville d’Amoks ». Après de coupables découvertes et d’improbables mésaventures - révélation de l’appétissante variété des pains, attouchements de fieffés damoiseaux, incarcération, etc. - notre original réintégrera le « bercail » pour, finalement, repartir de plus belle…
Avec un sens aigu de l’autodérision et du burlesque, outre la traversée de ces « vingt-cinq ans de flux et de reflux » en terres inféodées, Léon Schwarz-Abrys convie le lecteur entre les murs de l’asile d’ « un grand pays démocratique » : la France. Un pays où se parler à voix haute, invoquer ses morts et palper le bois d’une allumette par « peur mystique » d’une damnation, peut entraîner hydrothérapie et électrochocs. Quelques séances de « narcoanalyse » s’emploieront donc à ébranler « la forme (de nos) connaissances, tel l’enfant la pâte à modeler ». La deuxième séance, par exemple. À savoir, celle où un interne, rivé au seul « point de vue thérapeutique » mais à peine affranchi des théories de Kraft-Ebing, voit son « agité » lui rétorquer : « - Eh bien… Je pense qu’étant donné que je vous vois en érection (…), vous avez dû passer la nuit chez le médecin chef à vous disputer, ou bien on vous a dérangés… Notez que je ne vous jette pas de pierres. Moi-même ne suis pas un ange et vous ne me déplaisez pas… Excusez-moi, cessons encore pour aujourd’hui la séance. »
Gentil chapon touche du bois, œuvre foisonnante et réjouissante, trouvera peut-être sa place non loin des Cahiers de Rodez d’Antonin Artaud. Un tantinet plus gouailleur et matois que son contemporain, Schwarz-Abrys n’en demeure pas moins cinglant : « En moi-même, j’admets une légère fêlure, d’un genre inconnu des psychiatres, quoique, pour faciliter leur tâche, j’en simule une autre, connue d’eux. Raisonnant, « raisonné », j’éviterai le contact des docteurs-techniciens, choquant, perçant la chair et l’os de victimes réduites à l’impuissance. »
Gentil chapon touche du bois
Léon Schwarz-Abrys
Éditions Cambourakis, 329 pages, 22 €
Histoire littéraire Errances et châtiments
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Jérôme Goude
Un livre
Errances et châtiments
Par
Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.