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Choses vues La danse et les pigeons

mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103 | par Dominique Fabre

Il y a près d’un mois une jeune femme s’est installée en face du foyer d’urgence qui avait pris feu et du coup, elle n’a trouvé personne pour l’accueillir. Elle a une vingtaine d’années, elle vit sur le trottoir d’en face, près d’un supermarché Ed. Pour le moment elle a l’air de tenir le coup, si cela veut dire quelque chose, des femmes lui ont amené des couvertures, elle parle avec les employés du supermarché d’à côté. Le reste du temps, à chaque fois que je passe, elle chante en écoutant son Mp3, ou elle danse en se regardant dans la vitrine à côté. Son nécessaire à maquillage qui sort d’un sac en toile. Son thermos. Son linge. Où va-t-elle se laver ? La semaine dernière une autre fille l’a rejointe. Elles se sont trouvé un matelas, la nouvelle ne dansait pas, elle buvait des bières et on voyait l’effet de la came dans sa façon de marcher. Elle est partie. Combien de temps va-t-elle rester ici, à danser comme ça ? Elle n’a pas l’air de craindre les mauvaises rencontres. Parfois, elle ne chante pas, ses yeux sont brillants et elle ne semble prête à aucune sorte de compromis. À celles qui la questionnent ou tentent de lui parler, je crois qu’elle ne répond rien. Ses yeux qui brillent dans le noir.
(Je me souviens qu’à New Orleans, plus de six mois, j’ai vu un Noir en treillis insulter les feux rouges de Canal street, près de la grande station des bus, et parfois, quand les feux rouges exagéraient, leur donner des bons coups de karaté. Au début j’avais les chocottes en rejoignant le haut de Saint-Charles avenue. Après non, il n’en avait pas après les gens. Je suis parti il était toujours là). Pour qui ou quoi danse-elle, cette femme ? On était plusieurs dans ma rue à se dire que ce n’était pas une bonne idée, les travaux qui n’en finissent pas, avant de rouvrir le foyer d’hébergement. Vont-ils vraiment le rouvrir en fait ? En tout cas elle s’est arrêtée en face, et il n’y a personne pour la faire traverser, ou l’aider à partir d’ici.

À côté, derrière des grilles de trois mètres de haut, les hommes hébergés eux aussi en foyer fument des clopes, restent accroupis les talons contre le mur et tiennent très souvent leur portable à bout de bras, comme une laisse à leur avenir (ou leur passé ?) Ils sortent sans signe extérieur de détresse dans la rue du Château des Rentiers, sinon, peut-être, un pas juste un poil trop rapide pour qui ne sait pas où aller.

On a grand beau printemps à Paris. À la pelouse de Reuilly, la Foire du trône est revenue. Les mômes attendent ça chaque année, à Paris et en banlieue. Ça colle avec les vacances. Ils m’en parlaient depuis un mois là où je bosse. Vous allez à la foire du Trône, msieur ? Je ne sais pas, pas cette année. Pourquoi, vous aimez pas ? Des bandes de petits mecs y patientent bien en rang, ils font la queue pour cogner sur le punching-ball. Ils sont super concentrés. Puis, à l’écart ils vont se comparer leurs poings dont la peau est rougie ou un peu arrachée. Tant qu’à faire je préfère les trucs qui font peur et vous décrochent l’estomac. Quoi que, je n’ai jamais osé la Salsa du démon ni le Grand Huit Super King à 5 pour tout gerber. Vous en voulez encore ? Ouiiiii… Ouh là là ! Cette année je n’aurai toujours pas osé aller voir de plus près la femme araignée : une tête, deux bras normaux, deux seins, et mille pattes d’araignée ! En face du Manège hanté, à côté du Palais des miroirs, j’ai aperçu la voyante assise sur les marches de sa caravane, elle fumait une cigarette, et je ne lui ai pas rendu visite comme je le faisais avant, quand je n’avais pas encore vraiment peur des sales nouvelles. Ma mère et ma sœur étaient acharnées de chiromancie, de cartomancie et de divination. Alors bon. Elle avait surtout l’air fatigué, j’ai trouvé. Ah sorcière, ton compte est bon ! 2009 : soucis d’argent, chagrin d’amour, trop de travail, petite santé. Ouh là là. J’aimerais à chaque fois qu’elle m’ait dit la vérité, pas tout, mais un peu de la vérité quand même. Ce serait bien. J’ai acheté des churros avant de m’en aller. Tout autour de la pelouse des tas de flics à pied, en vélo, en voiture, en rollers et en civil. Vous en voulez encore ? Ouiiiii !… ouh là là ! Dans le bus PC 2, en rentrant porte d’Ivry, des jeunes hilares se racontaient leurs aventures de la foire, et calculaient de combien d’argent ils s’étaient fait ratisser. Ils allaient revenir bientôt. C’est encore les vacances après tout.

Du coup je suis allé voir une expo à la Pinacothèque, place de la Madeleine. Maurice Utrillo et sa mère Suzanne Valadon. Il peignait des endroits vides, des églises vides, Montmartre vide, des endroits sans les gens, elle lui avait interdit certaines couleurs, il buvait trop. C’était merveilleux, et quand il est devenu célèbre, il n’en avait plus rien à foutre de tout ça, si j’ai bien compris, alors il s’est mis à peindre n’importe quoi, à utiliser toutes les couleurs qu’il voulait, à peindre sans envie en échange d’une bouteille de vin. Suzanne était du côté de la vie. Lui les seuls amis qu’il avait pour finir étaient clochards. Son blanc était mêlé d’excréments de pigeons, pour faire vrai-gris. C’est la couleur d’ici, porte d’Ivry, porte d’ailleurs, quand je regarde par la fenêtre, dès que le bleu du ciel s’en va, dès qu’on ferme les yeux aussi.

Qui est-elle, et lui ? Vers une heure du matin, presque chaque nuit ces derniers temps, une femme se met à gémir de plaisir et le temps que ça se passe, c’est un petit miracle qui suffit à justifier la pire des insomnies. Les gens qui se plaignent de tout dans l’immeuble n’ont pas encore récriminé. Ce soir, en attendant qu’ils aient fini, je regarde au-dessus des lampadaires les très hauts marronniers qui nous gardent dans le noir. Quand il n’y aura plus aucun bruit, je vous dirai bonsoir (et bonne nuit !)

La danse et les pigeons Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°103 , mai 2009.