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Domaine étranger New York, New York

mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103 | par Camille Decisier

L’Holocauste, la misère sexuelle, la précarité, l’identité et l’Amérique, vues par le subversif Edgar Hilsenrath, qui a toujours préféré en rire qu’en pleurer.

En 1953, date à laquelle s’ouvre son journal, Jakob Bronsky entame sa deuxième année new-yorkaise. Roi de la resquille, il enchaîne les boulots miteux afin de poursuivre deux buts étroitement liés : inscrire le mot « fin » au bas du manuscrit de son premier roman (Le Branleur), et réussir à sodomiser une authentique secrétaire de direction américaine. Tour à tour serveur-braqueur, promeneur de caniches pour trois dollars par tête canine et gardien d’immeuble sur Park Avenue, Bronsky passe le plus clair de son temps libre à parler avec ses organes génitaux et, dans les moments difficiles, vit pendant neuf jours avec moins d’un dollar. Dans les bas-fonds de Broadway, au coin des tables poisseuses des cafétérias d’immigrants, sexe et écriture s’éperonnent constamment, dans le manque aussi bien que dans la (plus rare) profusion. « J’ai besoin d’un nouveau crayon. J’ai aussi besoin d’une femme. Plus j’écris, plus ma bite me démange. Mon besoin de sexe est directement lié à ma puissance créatrice, à la foi en mon génie artistique. Malheureusement, les putains s’en fichent pas mal, et les jeunes filles ’ privées’ encore plus. » Car la femme américaine, métonymie de la société consumériste, est superficielle, matérialiste, et néanmoins très désirable ; la sortir coûte près de vingt dollars - la perspective de « conclure » étant, en outre, loin d’être garantie. Faites la conversion en toutous promenés et vous aurez une idée du défi bronskyen que constitue l’accès à une petite amie, autrement dit à la preuve publique d’une intégration culturelle réussie.
L’urgence de se raconter plusieurs fois.
Juif allemand dont les parents ne survécurent pas (ou bien si) à la déportation, Bronsky est écartelé entre la commodité de l’amnésie - réelle ou calculée - qui le frappa pendant la guerre, et la nécessité de se rappeler, pour pouvoir le transcrire, le traumatisme historique. Création et procréation s’imposent comme les seuls biais par lesquels retrouver la mémoire - et le désir sexuel, disparu avec elle, et dont l’extinction est une sorte de fin de soi. L’écriture est une réhabilitation physiologique ; le sexe apporte la preuve de la survivance. Fuck America est au moins aussi percutant sur le plan psychanalytique que sur celui de la critique sociale. Car le propos d’Hilsenrath va au-delà de l’insulte ; il analyse sans en avoir l’air les mécanismes défensifs qui s’enclenchent au moment du choc frontal avec l’horreur (la Shoah, thème traversant de son œuvre) : l’oubli et la nécessité subséquente de l’hypothèse, le besoin de recompter des parachutes qui ne s’ouvrent pas, de se laisser tenter par le défaut de mémoire, la divagation, voire la dissociation identitaire : « Il y en a eu deux. Le premier Jakob Bronsky, mort avec les six millions, et l’autre Jakob Bronsky, celui qui a survécu aux six millions. » L’urgence, en somme, de se raconter plusieurs fois, et dans toutes les directions (sa famille a-t-elle échappé aux rafles en se cachant pendant deux ans dans une poubelle ? Ses parents ont-ils été gazés ou fusillés ? Son père a-t-il ou non mis les pieds en Amérique ?).
Récit iconoclaste sur le fond comme dans la forme (la typographie déglinguée est utilisée comme un haut-parleur), ce troisième ouvrage (écrit en 1980) au titre explicite possède un substrat autobiographique puissant. C’est donc peut-être celui qu’on choisira pour aborder l’œuvre controversée de l’auteur du Conte de la pensée dernière, aujourd’hui âgé de 83 ans. « J’ai encore d’autres problèmes, des problèmes plus concrets et qui n’ont rien à voir avec ma peur originelle. (…) Les problèmes concrets d’un écrivain inconnu et crève-la-faim, mais surtout les problèmes d’un écrivain allemand d’origine juive dans un pays étranger, un pays que je ne comprends pas et qui ne me comprend pas. - L’Amérique, c’est la Terre Promise ? - L’Amérique est un cauchemar. »

Fuck America de Edgar Hilsenrath - Traduit de l’allemand par Jörg Stickan, Attila, 292 pages, 19

New York, New York Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°103 , mai 2009.
LMDA PDF n°103
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